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Tu viens de développer, tu viens de dire beaucoup de choses intéressantes, elles sont à toi..
Et tu dis : est-ce que ça s’arrange avec Bergson ? Aucune raison que ça s’arrange avec Bergson ! Dans tout ce que tu as dit, les seuls endroits où je commençais à m’inquiéter véritablement, c’est quand tu voulais que ça s’arrange avec Spinoza, il n’y a pas non plus de raison pour que ça s’arrange bien fort avec Spinoza, tout ça. Aucune raison. Donc je veux dire ce n’est pas une question à poser - sur ce qui est le temps même à ce Bergson. Je crois que ce que tu as dit à la fin n’est pas tout à fait exact, mais ça ne fait rien, ce n’est pas grave. De toute manière là, ton affaire ton affaire qui est très intéressante, elle n’a rien à voir avec Bergson. Je crois que rien à voir avec Spinoza non plus. Mais en revanche ce que tu as dit, à un certain moment, sur le rouge chez Matisse me faisait penser à la formule de Goethe, sur :" le rouge, c’est la satisfaction idéale", par opposition au vert qu’il appelle lui, "la satisfaction réelle". Alors quand tu lies le rouge à la différence, je dis oui mais comprends que la différence à ce moment là même de ton point de vue ; c’est de ton point de vue que je me situe, ça ne suffit pas.
Je veux dire, la différence c’est un concept trop général encore, parce qu’il y en a beaucoup. C’est la différence qualitative ? c’est la différence quantitative ? c’est la différence intensive ? la réponse de Goethe, elle serait formelle car tout ton schéma il me semble, à plus a faire avec Goethe, en tout cas qu’avec Bergson ou qu’avec Spinoza. Lorsque tu dis qu’il y a quelque chose qu’il faut réveiller dans le rouge, oui ! il y a quelque chose qu’il faut réveiller, sûrement. C’est à ce titre qu’est la satisfaction idéale et que cette satisfaction idéale doit passer au réel selon Goethe, ça il y a quelque chose qui est bon, que tu tiens, pas parce que ça ressemble à Goethe mais parce que tu le retrouves avec les moyens à toi. Quant au rapport du rouge et de la différence, et puis du temps et de la différence, d’accord le rouge c’est la différence mais laquelle ? quel type de différence ? A toi à ce moment là de forger un concept de différence qui convienne avec tout ce que tu as dis, ça oui. Mais j’aime bien ton...je me sentirais très en désaccord, ceci dit, très en désaccord parce que je tiens beaucoup à une différence absolue, entre le plan qu’on appelle le plan du consistance ou autre chose, et le temps. Pour une simple raison : c’est que le plan c’est bien une perspective ; c’est une perspective même, on l’a vu, temporelle. C’est une perspective sur le temps mais ce n’est pas le temps. En fin, ce n’est pas grave, on peut être en désaccord sur un point et tout ça, mais c’est très bien, je crois que tu as amené des choses.
D’autre part, Comtesse souhaitait revenir sur un point précis de son point de vue à lui concernant ce qu’on avait dit la dernière fois sur Proust, je crois.
Georges Comtesse : Je voulais intervenir sur la question de la constitution de temps qui est en rapport avec ce que tu avais avancé l’autre fois sur l’intérieur du temps. Donc sur, d’une certaine façon, la "théorie" des rapports chez Proust entre le temps, l’intemporel et l’éternité parce que il me semble cela traverse non seulement "la Recherche" mais les écrits avant "la Recherche" sur le désir. Dans « Jean santeuil » Proust fait ressurgir ou traduit un "certain instant" ; un instant de répétition ou un instant de désir qui est un instant d’écart entre deux mouvements, le mouvement de désir et le mouvement de sa satisfaction : c’est ce qu’il nomme le mouvement de la possession. L’instant de la répétition est justement celui de la souffrance du désir qui est, dit Proust dans « jean santeuil » le désir un puit de tristesse comme ressort de la désespérance de l’amour, car le désir ; dit il ; est la déréliction de la mort démesurée. Proust écrit « une déréliction grande comme la solitude, comme le silence et comme la nuit » ; et cette déréliction ça fait penser justement, ça amène à penser à « Jean santeuil » qu’il est préposé...
Deleuze : Il emploie le mot déréliction ?
Comtesse : Bien sûr
Deleuze : ne me ne me réponds pas « bien sûr » réponds moi « oui ».
Intervention : hé...
Deleuze : Tu as la référence ? Tu as le souvenir du chapitre ?
Comtesse : hé..., je vais te retrouver la référence.
Et ça fait penser à « Jean Santeuil » qui est préposé par la nature à la conversation, écrit Proust, de quelque dieu habitant en lui dans les marais de son esprit. Autrement dit, l’instant de répétition c’est un instant d’un trouble vertigineux qui sépare de l’objet, qui coupe le mouvement vers lui, empêche le rapport, d’où l’instant d’écart. Le désir, dira Proust, est cette sensation, d’une sorte de logique enchantée, un désir enchanté soumis à une déception fatale et qui fait surgir l’Idée, comme dit Proust ; c’est-à-dire la hantise mélancolique d’un corps parfait qu’on puisse, écrit Proust se crisper ses membres, autrement dit par la hantise du corps parfait comme premier moteur également ; de l’immobilisation du corps aux désirs ; par la hantise d’écart, de l’instant d’écart. Par cette hantise on est hanté par le rêve d’une autre vie ; par la vraie vie éteinte, par le sourire éteint de la vraie vie absente et par l’intensité, la brillance lumineuse d’une telle vie qui fait que tout corps pour que tout objet du désir, n’est rien d’autre qu’un léger scintillement, point faible de miroitement d’un corps parfait, intouchable, inaccessible, dérobé, absent. Cet instant d’écart ou de répétition, cette instant d’échappement ou de paralysie, il sera excédé, débordé, relevé, anéanti, vidé dans un centre vide qui est le centre d’un présent variable, intervalle entre deux mouvements extensifs, parce que le problèm ne se pose même plus à ce niveau là, et au contraire d’un présent invariable ou stagnant, c’est-à-dire le présent de césure ou d’abolition, le présent de temporalisation de la répétition. Ce présent stagnant, invariable, immobile, c’est le présent symptomatique chez Proust, d’un centre vide de l’instant de répétition d’où son désir présent une réserve de symptomes ou de souffrance. C’est le présent que Proust appelle la longue torpeur, la tourmente inquiète, l’insatisfaction, la peur, les crises nerveuses, la fatigue, ce qu’il appelle également "l’étrange et physiologique pudeur". C’est donc le présent stagnant, ce qu’il appelle également vers1 906 dans une lettre à la princesse Divesco ; "le présent du néant de vie ou bien le présent comme il dit dans « jean santeuil » également de la déchirure ou la vie découle.
Autrement dit, pour saisir la théorie du concept du temps, avant le temps retrouvé chez Proust il s’agit certainement de saisir le rapport entre cet instant de répétition et ce présent invariable parce que l’instant de répétition c’est le passé a priori de ce présent symptomatique durable et donc menacé d’un futur comme retour de cet instant. Le présent invariable est intervalle entre un instant aboli en lui parce que il est cette abolition, et un instant qu’il s’agit de prévenir car il est la menace du futur antérieur, autrement dit il stagne entre un instant retenu et un instant prévenu. Cependant on peut dire que la hantise du corps parfait persiste dans le présent stagnant du temps centré, vide, immobile et qui fait que chez Proust la mémoire n’est pas du tout la remémoration du passé, le raccord ou la perfusion mais, comme dit Proust le souvenir, le souvenir d’une vie antérieure, d’une vie éteinte d’une vérité qui est pour Proust, ni comme une matière , ni comme une forme idéale mais comme le sens lumineux de la matière ou de la loi de développement de celle-ci.
C’est pourquoi Proust pense que le présent stagnant, le temps symptomatique n’est, dit-il, qu’une figure du temps. Il s’agit autrement dit de sortir du temps, de sauter hors du temps, hors du présent centré, pour saisir hors du néant de vie, l’éternité d’une vie, dans le moindre objet, écrit-il, d’où le célèbre énoncé de Proust : "L’art recompose la vie autour de ses vérités qu’on a atteint en soi-même". Retrouver le temps perdu c’est donc sortir du temps menacé par la répétition, c’est alors que Proust simplement à ce moment là, parle de ce qu’il appelle "les instants intemporels", et il écrit " ce sont des instants affranchis de l’ordre du temps et qui seuls retrouvent ce qu’il appelle,le temps que rien ne fixe", autrement dit le temps qui diffère le temps centré du temps vide, du temps vidé immobile, stagnant, menacé ; menacé par le retour de la répétition. L’instant intemporel chez Proust s’extrait du présent invariable, symptomatique selon la hantise qui perdure en lui, sort de la vie éteinte ou abolie, l’instant intemporel de joie dégage l’essence éternelle ou la loi des signes traverse ici opère la transmutation du temps centré, comme si, écrit Proust, notre vie était "hors le temps", prêt pour goûter l’éternel et mécontent du présent, attristé du passé, l’extraction, le dégagement de l’essence éternelle des signes. C’était ce qu’il appelle l’imagination divine qui est définit par lui comme l’organe qui sert l’éternel.
Autrement dit les instants intemporels qui dégagent les essences éternelles ou les lois des signes réalisent l’émergence de ce que Proust appelle "le vrai moi", c’est-à-dire ressuscite l’âme morte, l’âme tombée morte au delà donc du faux moi lié au temps symptomatique. Le vrai moi c’est la durée des instants intemporelles, hors le temps et qui se nourrit de la céleste nourriture, dit Proust, des essences éternelles.
Autrement dit le vrai "moi" comme durée des instants intemporelles est le lieu du retour ce que Proust appelle "l’être éternel", l’être éternel perdu où le lieu de la recomposition de la vie éteinte. En effet on peut dire que la composition des instants intemporels recompose l’éternité de la vie comme l’éternité de l’essence éternelle, assure, autrement dit, de retrouver le temps de l’être éternel qui s’incorpore l’éternité de vie, le temps autrement dit d’un désir immortel, son rapport avec la mort démesuré - d’un désir immortel qui, comme dit Proust, rend la mort indifférente, qui fait que la mort improbable n’est qu’un mot vide de sens, d’une probabilité nulle et qui fait que les choses ne sont que des images de désir immortel, n’étant plus que cette sensation qui enferme le passé.
Autrement dit, qui abolit définitivement l’instant de répétition est de l’ordre que l’être éternel de temps retrouvé jouit de l’éternité de vie ou de la joie pure d’un désir immortel dans la satisfaction où le bonheur transmue le regard optique puisqu’elle est la contemplation fascinée ou enchantée de la beauté. La beauté comme dit Proust, est la substance invisible de l’être éternel de l’homme. Selon l’imagination divine comme organe de cet être éternel, organe donc qui permet de voir l’invisible.
D’où ma question... Quel rapport ? Quel rapport entre la substance invisible de l’être éternel qui s’incorpore l’éternité de vie ou se nourrit d’essence éternelle, céleste et ce Tout dont tu as parlé comme intérieur du temps ou comme monstre terrifiant qui se lève et qui suscite l’imminence de la chute ? Quel rapport entre ce Tout et ce que dit Proust de la métaphore dans son écrit sur Flaubert. La métaphore dit- il peut seule donner une sorte d’éternité au style ?
Deleuze : C’est bien mais enfin, je prends comme pur mouvement rhétorique que tu le présentes comme la question posée à moi. Je te fais confiance, tu sauras seul à y répondre. Oui, je crois qu’on a bien écouté mais je me trompe peut-être pour parler plus simple. Tu en distingues combien de temps ? Il me semble que dans ton schéma il y en a que deux.
Il y a ce temps auquel tu as donné des couleurs tragiques en évoquant, mot que tu affirmes sous le trou de déréliction et puis tu as parlé du temps de l’éternité vivante. A mon tour de te poser une question, ça peut-être une question bête mais c’est pour être sûr, est-ce j’ai bien suivi l’ensemble de ce que tu disais. Ça en fait deux là, je veux dire deux niveaux ou tout ce que tu veux.
Comtesse : Oui, ça veut dire qu’il y a un temps qui se définit par rapport à un instant, un présent symptomatique, stagnant, invariable, qui se définit par rapport à un instant de répétition, et c’est l’instant justement qui est le mouvement de la recherche le temps retrouvé, de ce temps qui s’exprime.
Deleuze : C’est ça, ça t’en fait deux temps. Voici on avait des différences mais on ne va pas revenir là-dessus. Moi, je crois qu’il y en a trois, alors c’est pour ça que je t’ai posé cette question. Et puis je ne ferai pas le découpage comme toi alors je vois bien une de nos différences constantes. Toi, tu aimes bien isoler le tragique, tu aimes bien isoler le désespoir, la déréliction. Alors t’en as fait, tu as peut être raison, une modalité fondamentale du temps chez Proust.
Moi, mon découpage il serait très différent, je veux dire, pour moi chez lui il y a "le temps perdu". Temps perdu c’est là déjà pour moi, je suis beaucoup plus sensible que toi, à charge de revanche, tu as d’autres avantages. Moi, je suis beaucoup plus sensible au comique, le temps perdu c’est aussi bien nos mauvais moments de désespoir, nos amours malheureuses etc. que nos petites joies. Tout ça c’est le temps perdu dans le sens où" je perds mon temps" finalement, alors j’ai introduit comme mon souci, je vais pas faire des rapprochements, comme mon souci ça va être Pascal. Le temps perdu Proustien je dirais, c’est sa manière à lui de comprendre ce que Pascal appellait "le divertissement" et j’ai beau avoir des amours malheureuses, et souffrir, souffrir vraiment, souffrir jusqu’au fond de moi-même ; et comme dit Comtesse tombé dans l’être, et me saisir dans la pure déréliction. Et bah, c’est les manières de me divertir.
Au sens alors où le divertissement, et la déréliction, ce ne peut-être sans rapport. Mais c’est des manières de m’agiter, je m’agite quoi, Aller, je vais tomber amoureux d’Albertine... alors là dessus catastrophe, il y a la jalousie, la terreur de la jalousie, l’angoisse de l’attente etc. Mais ces clins d’oeil ? C’est pas qu’il n’est pas souffert ! Il a vécu de souffrances, Proust, mais c’était sa manière de perdre du temps, et on sait que chacun de nous, on vit en perdant du temps ; et généralement notre manière de perdre du temps, c’est pleurer, et que nous avons toutes les raisons de pleurer mais c’est une manière de s’agiter, pleurer.
Alors pour moi il y a le temps perdu où je mettrais non seulement tout ce que Comtesse a mis sous le signe de la déréliction mais j’y joindrais en même temps, l’ensemble des occupations qui peuvent être gaies, qui peuvent être très agréables, les moments de bonheur, les moments doux ; pourquoi c’est du temps perdu ? Evidemment ce n’est pas de temps perdu. Cela n’est pas perdu pour lui puisque ça fera un pan de son oeuvre. Il fait partie de ces monstres pour qui Tout doit servir, de toute manière ça ne sera pas perdu. Alors il aura beau se divertir, chez la Duchesse, aller prendre le thé, ce ne ne sera pas perdu. C’est quand même en apparence, l’apparence du temps perdu ;
et il y a un autre temps qui repondrait tout à fait à ce que Comtesse a appelé cette espèce de rapport entre instants indépendamment de l’ordre du temps ; et quand il a lié la notion d’"éternité de vie" mais c’est de l’"essence". Seulement là il y a des questions où sans doute lui et moi, on serait en accord ou en désaccord ; la manière très particulière dont Proust conçoit les essences. Car il ne conçoit pas les idées. à un certain moment mais je pense que ce n’est pas du tout dans ta pensée ; on aurait cru que tu parlais de Platon plutôt que de Proust ; il va de soi que tout ce que tu as dit doit se comprendre, aussi bien l’essence que l’éternité etc. en un sens extrêmement spécial qui est le sens que Proust donne à tout ça. Alors moi je dirais aussi pour préparer comme ça ferait une transition parfaite. Vous savez ce qu’il appelle "essence" quand il parle en effet et quand il lie ça à quelque chose qui n’est pas de l’éternité puisque ce que j’aimais beaucoup dans la citation que tu as faite : c’est quelque chose qui est en dehors de l’ordre du temps, en dehors de l’ordre du temps. Mais lui-même parle de l’éternité, il parle aussi d’immortalité ; c’est qui m’intéresse, qu’est- ce que c’est ? En quoi ce n’est pas du Platon ? C’est que pour lui, c’est très curieux ; à mon avis ce qu’il appelle essence, et c’est par là que les essences elles ne sont pas hors du temps ; l’essence c’est un point de vue ; ce n’est pas quelque chose de vu ; l’essence c’est un point de vue. C’est pour ça que les essences elles sont objets de création. L’art c’est quoi ? Ce n’est pas la production des choses à voir pour Proust, c’est la création des nouveaux points de vue. C’est ce qu’on crée finalement chez Proust et ce que les artistes créent à travers les œuvres c’est des points de vue inouïs ; en ce sens je dirais il est leibnizien. Il faut dire qu’il a au moins en commun avec Leibniz cette idée que le monde est inséparable ; alors chez Leibniz c’est une création de points de vue qui est prédéterminée, qui est prédéterminée par l’ordre de Dieu et par l’entendement divin. Mais chez Proust il ne s’agit bien évidemment plus de ça. Créer des points de vue. Un peintre estime ce qu’il fait - bien sur il fait des œuvres - mais l’essence, elle n’est pas dans l’œuvre, l’essence, elle est dans le point de vue, et bien sur une oeuvre implique toutes sortes de points de vue ;
Qu’est-ce que ça veut dire, l’essence est dans le point de vue ? Permettez moi de faire tout de suite, une liaison sera autant faite quand j’en ai parlé de Pascal. Qu’est-ce qui nous reste à faire ? Michel Serres justement que tu as évoqué, dans son livre sur Leibniz, consacre à Proust un chapitre de la vie et la meilleure chose qu’on peut écrire sur Proust et pourtant c’est l’auteur sur lequel on a beaucoup écrit, ; et il dit à peu près ceci, je résume la thèse de Serres, il dit vous comprenez : au 17ème siècle, fin 16ème - 17ème, il se passe quelque chose de très important qui est la découverte de l’infini dans tous les domaines : mathématiques, astronomie et tout ça, mais l’infini c’est très embêtant. Ce n’est même plus la question : est-ce que le monde est fini ou infini ?
C’est la découverte de l’infini telle qu’elle se fait au 16ème et 17ème siècle. Elle a une importance fondamentale parce qu’elle fout en l’air le centre le centre ; il n’y a plus de centre. Je dirais avec grâce c’est un grand moment où l’homme est déterritorialisé, une grande déterritorialisation de l’homme, il n’y a plus de centre. Où est le centre ? Où trouver le centre ? C’est un décentrement absolu, aussi bien décentrement des systèmes physiques, décentrement des mathématiques etc. C’est un grand moment de crise ; et là-dessous ça sera un problème commun à tout le 17ème. Serres dit quelque chose qui me fascine il dit : " finalement leur tâche ça va être de retrouver un centre", seulement où est-ce qu’ils vont le retrouver ? retrouver un centre dans un monde qui à perdu le centre, ce n’est pas en retrouver un qu’on n’avait pas vu, on n’a pas de choix. C’est changer le concept de centre.
Et je reviens à mon point sous-jacent : qu’est-ce qu’est la philosophie ? La philosophie c’est de créer les concepts, quant vous vous trouvez dans la situation où les concepts précédents ne marchent plus - alors il faudrait définir qu’est-ce que c’est ce type de situation etc. Le philosophe c’est celui qui invente les nouveaux concepts. Alors ils n’ont plus le choix, ou bien la pensée va entrer dans une crise dont elle ne sortira pas, ou bien la réponse est donnée d’avance, ça s’arrange toujours. Ils vont le trouver, il faut leur faire confiance, il y aura des génies. C’est par là qu’il y a un génie philosophique, non moins qu’un génie artistique, un génie scientifique.
L’année prochaine j’aimerais bien qu’on étudie tout ça, c’est de très belle théorie de l’ancien de génie. Comprenez, il faut qu’ils changent la notion du centre, si non ils sont perdus. Comment ils vont changer la notion du centre ? C’est là que l’analyse de Serres me semble très forte ; il dit oui ça applique une rupture avec toutes sortes de choses parce que en gros, en très gros, en résumant beaucoup ; qu’est-ce que c’était qu’un centre ? C’était le centre d’une configuration.
Quelle était la configuration la plus simple ? La sphère ; le centre était défini par "équidistance" ; tout ça applique une certaine géométrie dont le centre c’était le point d’équilibre, mettons. C’est très sommaire ce que je dis mais c’est comme ça qu’il faut que vous procédiez dans votre propre travail, plus vous tenez, pour marquer un concept original, il faut que vous aillez des coordonnées extrêmement simples. Le centre comme centre d’équilibre, voilà, centre de configuration, c’est la même chose.
Qu’est-ce que ça va être le coup de tonnerre ? ce n’est pas l’un seulement qui va le faire, va se dégager chez beaucoup, et qui n’ont rien à voir, qui sont des auteurs très différents ; va se dégager chez beaucoup de la notion de point de vue, point de vue ; c’est-à-dire, imaginez quelqu’un qui vous dit : "le centre n’est pas le centre d’une figure" - vous remarquez, "centre d’une figure ou centre de configuration" ; ça renvoie à peu près à "essence". Une essence c’est une configuration équilibrée, c’est une configuration centrée ; c’est ça une forme ou une essence, en grec c’est le même mot.
Voilà qu’ils nous disent, imaginez, mais le centre ce n’est pas ça ; pour une bonne raison, il y en a plus ; il n’y a pas de centre d’équilibre. Ils disent, à la rigueur ça marche pour un système fini, bon, "mais une balance dont les fléaux sont infinis", texte-célèbre de Pascal, parmis les thèses scientifiques ; centre est un ensemble infini ; Alors tout ça commence de la Renaissance et surgit cette curieuse conversion - le centre ne sera plus le centre de la configuration, c’est-à-dire essence, il sera point de vue. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la seule manière de mettre de l’ordre dans les choses, c’est de trouver le point de vue ; avant les choses étaient en ordre en fonction d’un centre, de leur centre, de leur point d’équilibre. Elles ont perdu le point d’équilibre, le monde n’ a plus de point d’équilibre, le monde n’a plus d’équilibre. Qu’est-ce que ça veut dire ? la notion de centre est remplacée par celle de point de vue. C’est toujours un point mais le point centre est devenu le point de vue.
C’est dans le point de vue qu’on trouvera l’unité que le monde a perdu et qu’on trouvera l’ordonnance et l’unité que le monde a perdu ; et ça sert le monde très bien ; et que deux auteurs aussi différents d’esprit que Pascal et Leibnitz s’orientent vers cette foi ; et qu’étant tous les deux savants, c’est-à-dire s’occupant des sciences, étant tous les deux grands mathématiciens, qu’ils vont participer indépendamment l’un de l’autre à la formation d’une nouvelle discipline de mathématiques qu’on appellera "analysis situs" ; et une autre discipline qu’on appellera plus tard : "géométrie projective" ; évidemment, ça dépend directement de ça. Vous voyez, à la base des révolutions scientifiques il y a non seulement des mouvements scientifiques très puissants mais il y a là aussi - et ça pose des problèmes des rapports science/philosophie parce que, prenez la géométrie projective, Serres le démontre, là il me semble que ça fait partie des belles pages d’histoire de la pensée. La géométrie projective qu’est-ce c’est au plus simple ? Voilà qu’elle s’empare du problème des coniques ;
oulala ! Il est midi déjà, j’ai encore un quart de heure !
Qu’est-ce que ça veut dire le problème des coniques ? Vous vous mettez dans la situation suivante ; le sommet du cône, appelons le S, est assimilé à un - vous l’avez tout de suite reconnu ! - œil ; le sommet du cône ce n’est pas le centre d’une figure en équilibre, le sommet du cône c’est un point de vue. Il faut qu’il y ait là un œil, ce qui S définit, c’est un œil, quelle révolution ! Je crois que je reprends exactement une phrase de Serres en disant : "on a sauté d’une géométrie de la sphère à une géométrie du cône", ce n’est pas simplement sauter d’une figure à une autre dans un espace homogène, ça va vous flanquer un espace complètement nouveau, ça va vous flanquer quoi ? Vous pouvez déjà le deviner, un espace dit projectif au lieu de l’espace euclidien, ce n’est pas rien.
L’espace euclidien c’est celui des configurations équilibrées ; là on est dans un drôle d’espace ; alors c’est même pas besoin de parler de nos espaces actuels. On peut imaginer à ce moment là ce qu’ils sont aujourd’hui ; le sommet du cône ce n’est pas un .....,(dessin au tableau ) si il coupe le cône par le plan vertical qui passe par le sommet S, qu’est ce que c’est la projection ? la projection du cône devient un point ; et s’il le coupe par un plan parallèle à la base, la projection du cône, c’est un cercle ; s’il le coupe par un plan oblique, transversal, la projection du cône c’est une ellipse ; si on le coupe par une génératrice, vous avez deux cônes opposés ; si vous le coupez par un plan qui coupe vos deux cônes, ce qui n’était pas le cas de la génératrice, vous avez votre point de vue, parabole et hyperbole, j’ai intervertis ; et puis j’en oublie encore. ; Qu’est ce qui se passe ? vous avez défini un ensemble fini qui de point de vue de l’Ancien Temps, lorsque une figure était définie par un centre de configuration ou par un centre d’équilibre ; elle n’avait strictement rien à voir ; ils n’ont rien à voir. Les unes sont infinies, les autres finis, comme dit très bien Pascal ; les unes sont ouvertes, les autres sont fermés ; parabole et hyperbole sont ouvertes et infinies, cercle et ellipse sont fermés et finis.
Qu’est-ce qui les unifie ? Là vous avez découvert avec la notion de point de vue, une nouvelle manière de mettre de l’ordre là où il n’y en avait plus ; c’est donc fondamental, cette conversion ; alors que vous la trouvez aussi bien chez Leibnitz que chez Pascal ; et qu’est-ce qui va en sortir ? Ça on verra plus tard.
Mais si j’en parle maintenant c’est un peu pour prolonger ce qu’a dit Comtesse ; il se trouve que chez Proust, alors pour de toute autre raison, Proust, revenons à cette question du temps. A mon avis - j’ai jamais fait les recherches érudites qu’il faudrait faire là dessus - il connaît, il était excellent élève de philosophie au niveau bachot, et à ce moment c’était très sérieux le baccalauréat, il a dû avoir comme prof - on le sait dans toutes les vies de Proust -quelqu’un qui leur parlait de la théorie de point de vue chez Leibniz et ça a dû le passionner, moi je crois. Alors c’est à vous d’en tirer quelque chose et de faire quelque chose avec. Parfois Il ne faut pas vous dire grand chose pour que ça vous dise quelque chose. Imaginez qu’il y ait eu un prof qui lui ait fait des cours sur Leibnitz et ça l’a frappé, et supposons, j’essaye de reconstituer, ça l’a frappé, et il s’est dit, oh, c’est bizarre les points de vue sur la vie, Cette histoire des points de vue ; et si on lui a dit en plus que la notion des points de vue était fondée en mathématiques puisqu’elle était à la base de la géométrie projective ; et ça fait un nouveau espace. L’espace euclidien n’a pas de point de vue. Si vous faites un espace qui se refère fondamentalement au point de vue, c’est un espace projectif, c’est un nouveau type d’espace. On peut supposer que ça l’ intéressait, tout d’un coup il se dit : et dans l’art, c’est absolument ça dans l’art.
Les points de vue ça ne préexistent pas. C’est même très différent d’une idée que les allemands formeront de visions du monde, c’est pas ça. Je veux dire, je gravis une montagne mais dans la nature il y a des points de vue qui préexistent. Au mieux je peux découvrir un nouveau point de vue, ça fera un panorama. Ah, j’ai trouvé le nouveau point de vue, tu connais ce point de vue ? (coupure)
Par exemple le petit pan de mur jaune de Vermeer, le pan de mur jaune chez Vermeer, ce jaune de Vermeer c’est un point de vue, bien sûr que c’est une chose vue ; ce jaune de Vermeer c’est un point de vue. C’est un point de vue. chez Van Gogh, apparaitra en plein l’idée de couleur et la couleur comme point de vue et pas comme chose vue. Là tu diras : "oui, je l’ai poussé un peu haut mon jaune" ; je l’ai poussé un peu haut ça veut dire quoi ça ? Je suis installé à ce point de vue plus élevé, où jaune devient jaune, comme il dit un jaune arbitraire, ça veut dire quelque chose de très lié à la création. Quand il dit : je suis un coloriste arbitraire or tous les grands peintres sont des coloristes arbitraires par définition. Mais en fin donc, alors je voulais juste vous faire sentir - alors je disais ça, tout ce que Comtesse a dit sur l’éternité de vie etc.
ça n’empêche pas que si - je ne dirais pas que chez Proust c’est historique parce qu’il s’en moque pas mal de l’histoire. Mais c’est lié au temps, en un sens presque ... Je n’ose pas dire ça, mais c’est daté, c’est daté. il y en a un, mais j’aurai à vous en parler au sûr parce que pour le temps ce n’est pas rien et puis il prétend être un disciple de Bergson, c’est Péguy. Bah, maintenant jusqu’à la fin de l’année on aura beaucoup à parler de Jésus, on aura à parler de Jésus pour Pascal, on aura à parler de Jésus pour Péguy etc.
Ce n’est pas par hasard ; vous voyez, pourquoi est-ce que ; sur le nom pas pour Proust, je veux dire ce n’est pas son problème. pourquoi est qu’il y en a beaucoup qui sont chrétiens ? c’est que finalement le point de vue, l’idée que le point, le point de vue est presque une idée païenne : définir le point comme centre de configuration, définir le point comme point de vue qui permet une nouvelle ordonnance, qui permet d’ordonner le fini et l’infini, sentez qu’il y a quelque chose qui au besoin peut venir, qui n’est pas liée fondamentalement mais qui peut recevoir du christianisme, un apport.
Alors je me souviens que dans le courant de cette année à propos d’autre chose où je parlais un tout petit peu de Péguy, moi ce qui me fascine en Péguy, c’est très curieux ; alors que aujourd’hui, se fait un grand retour aux gens du 19eme et du 20eme qui écrivent, qui ont inventé des styles les plus étranges, les plus insolites qui soient. Foucault a ressorti Russel, il y a eu une grande recherche en ce sens. Péguy on le laisse de côté... Ou bien il est tellement la chose des prêtres ou des esprits pieux, que ou bien on en parle dans un grand élan... Mais ce qui est fascinant chez lui, chez Péguy, c’est Péguy inventeur d’un langage, c’est l’unique et le premier inventeur du langage de la répétition pure, ce qu’il a tiré de la répétition pure, c’est insensé le style de Péguy. Si vous ouvrez une page de Péguy vous vous dites mais qu’est-ce que c’est ce fou de génie ? Alors qu’il ait eu besoin de ce langage, qu’est-ce qui lui est arrivé ? C’est un langage vraiment, c’est pour ça que je souhaite que vous en lisiez un petit peu de Péguy ; qu’est-ce que c’est que cette litanie, ce processus de la répétition qu’on l’avait jamais entendu ? et en plus il a tellement réussit son coup que personne a osé l’imiter, les imitateurs de Celine on en trouve dans toutes les poubelles, je dis ça pour les imitateurs, les gens qui sont toujours imités, comme s’il y avait vraiment quelque chose d’horrible, bon, pourquoi j’ai ajouté ça ? Ce que le mot qu’il crée Péguy ça aussi, on verra, pour indiquer le croisement du temps et de l’éternité. C’est le très beau mot d’internel, ou je dirais c’est un concept philosophique maternel.
Je dirais que cette histoire de la substitution du point de vue au centre de configuration, qui se fait avec Pascal etc., le point de vue ce sera un croisement car, je ne vais pas insister mais tous ceux qui ont fait un tout petit peu de la géométrie projective le savent : si le cône est le point de vue fini, il y a aussi un point de vue infini. Leibniz le dira dans les textes sublimes ; qu’est-ce que c’est que le point de vue infini ? Et finalement les deux, d’une certaine manière, sont isomorphes, et en tout cas parfaitement communicant, le point de vue infini c’est le cylindre. Dieu c’est un cylindre.
Nous, on est des cônes, le point de vue infini c’est le cylindre. A la notion de point de vue il y a la possibilité, si vous voulez, d’un entrecroisement de la temporalité de l’homme et de l’éternité de Dieu. Et le rapport de l’éternel et du temps ne se poseront plus du tout de la même manière ; et c’est pourquoi je trouve admirable, um mot qui doit nous servir - l’internel de Péguy c’est ce point où s’entrecroise cette nouvelle manière de comprendre l’éternité et cette nouvelle manière de vivre le temps, un de ces noms pourrait être "point de vue". Vous voyez si bien qu’il y a une conversion de la notion d’essence tout à fait fondamentale lorsque l’essence cesse être la configuration stable pour devenir, la configuration stable qui ordonne les apparences pour devenir, oui je reprends bien, l’essence, cesse d’être la configuration stable ou la forme stable qui ordonne les apparences pour devenir le point de vue qui ordonne "les apparitions". Le point de vue c’est le sommet du cône, les apparitions c’est cercle, hyperbole, parabole, ellipse ; ce ne sont pas les apparences. Voilà ce que je voulais dire.. Et en fin c’est là que je demanderai à Comtesse d’y réfléchir pour la prochaine fois. Moi, tu vois, ce que je veux dire et je suis d’accord avec toi, ce n’est pas la mort le problème de Proust dans ce que j’appellerais moi, sa troisième dimension du temps.
Je crois beaucoup plus que son problème c’est quelque chose qui est lié à la mort. C’est ou bien le vieillissement ou bien les morts prématurées, mais là aussi, j’ai l’air de forcer les choses, je les force pas, c’est le même problème chez Péguy. Un des problèmes principaux de Péguy c’est : il y en a qui meurent jeunes et il y a ceux qui meurent très vieux - vous me direz alors : il est pas fatigué. Allez voir ce qu’il en tire ! tout dépend de ce qu’il en tire lui. Il dit :" oui Jeanne d’Arc elle meurt jeune mais il y a des saintes qui meurent à 90 ans, d’accord, qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Mourir trop jeune ou bien mourir très vieux ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Son problème c’est finalement, on retrouve ce thème chez Proust, c’est aussi bien la mort prématurée, mourir avant d’avoir fini son œuvre - c’est un thème qui revient constamment chez Proust - il a beau ne plus être un tout jeune homme, il estime que pour lui, la mort serra prématurée s’il a pas fini son œuvre ou à la plus forte raison quand il a même pas idée de ce qu’il veut faire. Et d’autre part il se trouve devant des gens qui ont... et c’est là qu’il découvre quelque chose de prodigieux ; et c’est sur ce point juste que je voulais clore ces deux interventions qui m’ont beaucoup intéressées, vous comprenez, moi j’insiste sur l’importance de cette découverte, là aussi qui ne date pas de untel ou untel il faudrait en faire l’histoire. Il y a un intérieur du temps - là aussi vous me diriez bon ; mais les idées elles n’ont qu’une unité de mesure, il faut les sonder,
je dis, il y a un intérieur du temps. Là aussi ce n’est pas difficile et pourtant il y a tellement de contresens sur lesquels on se précipite ; le contre sens le plus immédiat c’est en conclure que le temps il est "en nous" et c’est le thème du temps vécu mais c’est pas du tout ça dire : il y a un intérieur du temps. C’est pas dire que le temps est intérieur à nous ou du moins pour faire comprendre, c’est là où je te réponds sur ce que tu disais quant à la durée bergsonienne peut-être pour faire comprendre ce qu’il y a d’inconcevable dans la formule qui a l’air si simple :" il y a un intérieur du temps". Pour faire comprendre il faut peut-être passer par ce premier niveau : le temps vécu, le temps intérieur à chacun de nous, parce que en effet ça nous permet de distinguer le temps intérieur à chacun de nous, c’est une première manière de se démarquer du temps extérieur, du temps chronométrique et Bergson fera complètement comme ça, si bien que tu n’as pas complètement tord.
Il y a mille textes de Bergson sur ce qu’est ce que c’est la durée, bah, c’est le temps intérieur à nous. On ne peut pas dire : "tu te trompes" et en même temps c’est pire que si tu te trompais. Je veux dire, si tu ramènes Bergson à ça, évidemment à ce moment là bergson mérite la manière dont les manuels le traite. Il a pas les moyens, encore une fois, quand on a une idée, quand on a une pensée nouvelle, il faut que vous passiez par des tas de degrés, il faut que vous bien que vous preniez le langage, il faut passer par des trous, il faut faire vos tunnels vous-mêmes.
Alors il nous dit le temps intérieur et puis il en parle beaucoup et puis dans son premier livre « L’essai sur les données immédiates » c’est même l’aspect qui l’emporte le plus. Mais plus qu’il va y aller, on voit qu’il s’agit bien d’autre chose. Et puis le temps intérieur à nous, bien sur, c’est une idée pas mauvaise parce que ça permet encore une fois de se démarquer du temps chronométrique et que c’est une manière très approximative de designer quelque chose de beaucoup plus profond, à savoir que c’est pas le temps qui est intérieur à nous ; c’est nous qui sommes à l’intérieur du temps. C’est-à-dire que le temps est une intériorité, et pas la nôtre, pas "notre" intériorité, sans doute à un premier niveau le temps c’est notre intériorité.
A ce moment là, si vous voulez Bergson est un psychologue qui n’est pas un défaut, c’est un grand psychologue mais ça n’irait pas plus loin, ça serait déjà beaucoup. Et beaucoup des bergsoniens en sont restés là, les anti-bergsonien ils sont restés toujours restés là parce que ils ne sont pas allés très loin.
C’est le temps qui a un intérieur. A ce moment là je dis bon, presque le film de terreur ; qu’est-ce que c’est cette intériorité du temps ? Vous sentez bien que ça nous engloutit, fini de rire or ce n’est pas le temps que nous avons à vivre en nous. C’est nous qui avons à vivre en tant que nous sommes à l’intérieur du temps.
Si bien que Bergson a l’air de s’opposer constamment à Kant et c’est vrai, il y a un conflit, il y a un anti-kantisme de Bergson, fondamental, ça ne s’oppose pas. En même temps il lui doit quelque chose de non moins fondamental, bien plus il peut avoir d’oppositions qu’entre les gens qui ont un petit rien en commun, si non il n’y a pas d’opposition puisqu’ils ne risquent pas de se rencontrer beaucoup car là aussi, remontons dans l’histoire, Pascal. Qui est-ce qui a affirmé le premier, sans s’expliquer là dessus, sans nous dire jamais, jamais, jamais. Sauf peut être à la fin dans des textes extraordinaires, la dernière oeuvre non publiée de Kant à savoir « L’opus postumum » mais sans jamais régler cette question. Il nous lance de la "Critique de la raison pure", cette définition fantastique du temps, c’est la forme d’intériorité.
Alors si peu que vous en sachiez sur Kant, vous savez très bien, ça ne veut pas dire "mon intériorité à moi" ; puisque Kant fait précisément et donne cette définition de temps d’un point de vue qui est celui d’une philosophie, qui se dit transcendantale et trancendentale même si vous ne savez pas ce que c’est, vous savez d’avance que cela signifie ce qui est différent de moi empirique, de moi psychologique, le sujet transcendantal c’est un sujet non psychologique.
Forme d’intériorité, on n’a jamais fait subir autant une telle révolution, pourquoi ? vous voyez tout de suite la raison de Kant qui dit : vous ne pouvez pas le définir par la succession le temps- et là dejà c’est fort ce qu’il est en train de dire. La simultanéité, là aussi en retrouvera Bergson, ça sera un autre rapport, un autre petit quelque chose que Bergson essaiera attendre. La simultanéité c’est le temps autant que la succession, vous avez l’habitude de dire que la simultanéité c’est de l’espace parce que c’est en même temps ; mais en même temps c’est du temps, en même temps c’est un mode du temps ; la succession ce n’est pas en même temps, c’est l’un après l’autre. D’accord, c’est la mode du temps ; mais la succession ce n’est pas moins mode du temps que la simultanéité, la succession c’est une mode du temps parmi d’autres ; donc il faudra que vous trouviez autre chose ; vous ne pouvez pas définir l’espace comme l’ordre de la simultanéité et le temps comme l’ordre de la succession. Et Kant nous dit : je définis l’espace comme la forme d’extériorité et le temps comme la forme d’intériorité.
Ceci dit, la forme d’extériorité n’est pas moins intérieure au sujet que la forme d’intériorité ou elle n’est pas plus. Voilà qu’il y a une forme d’intériorité ; alors peut être que Bergson il ne voulait pas que le temps soit une forme d’intériorité, là à nouveau il faudra qu’il règle ses comptes avec Kant. Peut-être qu’il ne veut pas qu’il y ait une forme d’intériorité ? Mais ce qu’il ne pourra jamais empêcher, ce que Bergson doit à Kant, c’est que c’est chez Kant qu’il a découvert qu’il y avait et que le temps n’existait que par et dans une "intériorité" du temps et si la psychologie est dépassée, c’est parce ce n’est pas du temps qui est intérieur à nous, c’est nous qui sommes intérieurs au temps.
Qu’est-ce que c’est que l’intériorité du temps ? Et que dans l’intériorité du temps- c’est la dessus que je raccroche tant bien que mal avec Proust mais il faut pas, je sais que je suis en train de tout mélanger. Ce que je analyse c’est pour mon compte, cette idée d’une intériorité du temps parce que imaginez, c’est une gueule ouverte qui vous prend, cette intériorité du temps. Vous êtes dans l’intériorité du temps exactement comme on est dans un boyau dont on ne connaît pas ni le début ni la fin. Et qu’est-ce que c’est cette intériorité du temps ? Bergson va consacré toute son œuvre à essayer de la décrire, et lui il ne la prendra jamais sur un mode tragique car finalement elle sera fondamentalement musicale, elle sera fondamentalement écoulement, musique, tout ce que vous voulez.
Mais on pourrait la prendre plus au tragique et de toute manière, c’est dans ce sens que la dernière fois je parlais chez Proust, lui aussi il y a une "intériorité du temps" ; et là je parle d’un autre aspect de Proust, je ne parle plus de l’aspect : "le point de vue", ni de la manière dont il participe à ces gens qui ont assimilé l’essence et le point de vue, qui ont fait, cette révolution du point de vue de l’essence ;
Là je parle d’autre chose : L’une des révolution de Proust vis-à-vis du temps c’est à sa manière d’avoir repris le thème. Il y a un intérieur du temps et vous vivez dans cet intérieur du temps, et dans cet intérieur du temps vous n’avez pas du tout la même figure que celle que vous avez dans l’espace et dans le temps. Vous voyez pourquoi j’ai ajouté "dans le temps" ?
Oui, une seconde, tu parles après dès que j’ai fini ça... et il faut que j’aille au secrétariat... tu parleras quand on reprendra
Sa réponse c’est à l’intérieur du temps, vous occupez une position démesurée y compris par rapport à votre temps intérieur y compris par rapport au temps qui vous est intérieur ; c’est à l’intérieur du temps, vous occupez une position démesurée c’est-à-dire sans commune mesure avec la position que vous occupez premièrement dans l’espace, deuxièmement dans le temps chronométrique, troisièmement dans le temps qui vous est intérieur ; et à l’intérieur du temps d’une certaine manière vous êtes sublimes. Si vous êtes bêtes, vous êtes sublimement bêtes, si vous êtes laids, vous êtes sublimement laids ; Pourquoi ? Parce que Vous êtes comme distendus, comme infiniment étirés de manière que les unités de cet intérieur du temps soient forcement des siècles de siècles. Et sur ces siècles de siècle qui sont des unités à l’intérieur du temps, qui sont les unités du sublime, vous marchez comme sur des échasses, d’où tout d’un coup vous pourriez tomber, c’est la mort ! Et c’est par là que la mort est finalement liée fondamentalement à cette intériorité du temps, puisque que la mort c’est précisément comme la chute. Une fois dit que vous occupez à l’intérieur du temps, une place immense - c’est ça l’immensité selon Proust - que vous êtes toujours grimpé sur des échasses, la mort c’est la chute toujours possible qui vous fait tomber instantanément dans les .... Alors c’est cette immensité, ce que j’appellerais chez Proust, c’est cette intérieur du temps mais elle a aucun privilège sur les autres dimensions. C’est pour ça que moi je dirais qu’il y a trois dimensions de temps chez Proust.
Il y a la dimension du temps perdu, la dimension du temps retrouvé, ce que Comtesse a lié aux l’éternités de vie et puis il y aurait l’intériorité du temps qui n’a pas de privilège et qui se définit par cette démesure.
Comtesse : Proust dit explicitement que dans l’expérimentation de cette éternité de vie, cette éternité elle même rend la mort indifférente. Il differencie les noms indistincts du fantastique et du colossal des mots et des choses, des signes. La mort est un mot Quel est donc le rapport entre le temps retrouvé et ce que tu appelles de façon si peu comique, le monstre qui se lève ou le (Tout)
Deleuze : J’aime bien les monstres. Je comprends ta question mais cela devient trop compliqué.. Tu as complètement raison : La mort n’a aucune importance, la mort autant que mort. En revanche ce qui a de l’importance infinie c’est ce dont elle est le déclencheur, à savoir cette chute infinie dans l’intérieur du temps, je tombe de mes échasses. Ce qui est important c’est ça, c’est cette espèce de chute qu’on peut figurer picturalement etc. C’est pour ça que moi j’ajoute un troisième moment, un troisième temps chez Proust. Mon problème à moi par rapport au tien ce serait en quoi finalement il y a le temps perdu et il y a ce qu’il appelle un peu de temps à l’état pur.