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Écouter Gilles Deleuze
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[date confirmée via enregistrement à Web Deleuze et à la BNF/Gallica; sources: l’enregistrement audio sur Web Deleuze, vidéo sur YouTube, sous le titre "Cours sur l’Harmonie" ; et l’enregistrement à la BNF/Gallica]
[François Dosse, dans Gilles Deleuze, Félix Guattari: Vies croisées, explique qu’afin de considérer le thème de l’harmonie (qui est aussi le sujet du chapitre 9 de Le Pli), Deleuze se tourne à plusieurs spécialistes en musique, notamment Pascale Criton (musicologue) et Richard Pinhas (musicien, compositeur), d’où un séminaire avec beaucoup plus d’interventions de l’auditoire que d’habitude. Malgré la présence de l’équipe avec les caméras (ou peut-être à cause de leur présence), le montage est parfois coupé, et je devrais par la suite confirmer la fidélité du déroulement de cette dernière classe avec l’enregistrement audio.
Bien que la séance filmée consiste essentiellement en la partie des présentations invitées par Deleuze, et alors commence en plein débat, avec une discussion entre Deleuze et Pascale Criton, l’enregistrement audio disponible sur Web Deleuze offre sans problèmes de son l’introduction de la séance par Deleuze (les treize premières minutes). Malheureusement, le début de la présentation de Pascale Citron est presque inaudible (de 13 :10 à 18 :50), mais lorsque Deleuze intervient pour poser une question, la fin de cette intervention correspond au moment où commence la séance tournée par l’équipe de RAI.]
[La transcription initiale s’est fait à partir de l’enregistrement audio de Web Deleuze]
J’ai le sentiment que certains d’entre vous, ne serait-ce que par cet appareillage, viennent ici pour un dernier cours. Je voudrais vous dire quelque chose sur les derniers cours : c’est que les derniers cours, on les fait toujours, mais pas au moment où l’on croit. Les derniers cours, ils sont toujours déjà faits. Le dernier cours, c’était le cours de la dernière fois, le cours de l’avant dernière fois.
Donc, aujourd’hui, ce n’est pas du tout un dernier cours. Aujourd’hui, c’est tout à fait autre chose. Je vous dis très vite que je souhaitais qu’on se retrouve, un certain petit nombre de ceux qui ont travaillé cette année, pour ensemble lancer de nouvelles directions de recherche en fonction de ce qu’on a fait cette année. [1 :00] Et là-dessus, ce que j’attendais, c’est qu’un certain nombre de vous particulièrement compétents, à mon avis, parlent, et moi, je ne parle pas. [Rires] Et moi, je pose des questions. Moi, mon dernier cours, je l’ai fait. C’est comme ça que les lumières… [Deleuze indique l’appareil de l’équipe qui filme] Je ne vois pas très bien…. Ca sera du cinéma muet ! [Rires] Donc, c’est parfait parce que je vois que, cette fois-ci, on s’entend tout à fait, mais vous ne comptez pas sur moi pour faire un dernier cours… Un dernier cours, ça ne se filme pas !... Il est toujours d’hier [2 :00]
Bien. Or, il s’agissait de quoi dans cette relance que je souhaitais ? Certains d’entre vous avaient bien voulu accepter le principe de ceci : c’est qu’on avait passé un an sur cet auteur très étrange, très prenant, Leibniz, et revenait tout le temps ce thème de l’harmonie, harmonie des âmes entre elles, harmonie des âmes et des corps, etc., et puis on remarquait chaque fois du passage, on se disait [que] c’est quand même intéressant parce que harmonie, harmonie, harmonie – lier l’harmonie à l’âme, on peut en faire toute une histoire de la philosophie… C’est bien connu que déjà du côté de Pythagore, de Platon, [3 :00] l’harmonie, l’âme ne sont pas sans rapports, mais on disait, n on, ce n’est pas ça. On se disait, il y a autre chose ; on se disait qu’avec Leibniz, c’est quand même curieux parce que l’harmonie, on supposait, doit être en train de prendre un sens tournant. Immédiatement, et cela toujours a été notre méthode depuis qu’on travaille ensemble, quelque chose nous tendait les bras : ce qui nous tendait les bras, c’était la musique car, après tout, à la même époque, il arrivait quelque chose qui ressemblait singulièrement au dégagement d’une toute nouvelle notion d’harmonie.
Est-ce que donc, une fois de plus, dans une des philosophies les plus créatrices [4 :00] et dans le plus créateur d’un mouvement musical, quelque chose n’allait pas faire résonnance, sans du tout se copier, s’appliquer ? Mais lorsque Leibniz estimait libérer l’harmonie de certaines notions avec lesquelles on l’avait confondu jusque là ; et lorsque les musiciens allaient découvrir l’harmonie en la libérant – je parle très grossièrement – de certaines attaches du contrepoint, est-ce qu’il n’y avait pas des choses pour nous ?
Et en ajoutant, avant que je puisse me taire, que justement [5 :00] notre méthode était volontairement un peu monstrueuse ; je veux dire -- et j’en ai parlé à ceux sur lesquels je dépends particulièrement pour nous aider, ils m’ont dit, première réaction n’était pas tellement pour – ce qu’il y a de monstrueuse, c’était que ça impose que dès lors on écoute de la musique. Je voudrais que vous compreniez, et vous n’aurez pas de peine parce que cela a toujours été notre méthode, et dans la mesure où on a travaillé ensemble, vous serez moins surpris. Mais je rêve d’un renversement d’une certaine méthode, c’est la philosophie qui devient l’exemple illustré d’autre chose. Je ne réclame pas des morceaux, par exemple, les exemples musicaux ce qui nous ferait comprendre ce qui arrive dans l’harmonie. Je réclame juste le contraire : [6 :00] il y a, par exemple, dans Leibniz des exemples philosophiques qui vont vous faire comprendre, peut-être, ce qui arrive dans la musique. Ceux qui ont travaillé avec moi sur le cinéma, vous vous rappelez peut-être que jamais on n’a utilisé un exemple cinématographique. C’était le contraire : [c’était] la philosophie qui devait nous servir d’exemple pour les concepts du cinéma. C’est ce renversement des exemples qui me paraît important si bien qu’on va parler de la musique sans entendre une seule partie de musique.
En revanche, ceux qui auront tiré de cette dernière séance, quoi que ce soit, ils iront entendre de la musique, mais je crois aussi qu’ils iront entendre du Leibniz et qu’ils auront de Leibniz une certaine entente musicale, [7 :00] et pas seulement philosophique. Je plaide toujours pour la nécessité d’une double lecture des grands philosophes ; ils doivent être lu, bien sûr, philosophiquement si l’on peut, mais que si vous n’avez pas la culture philosophique pour lire un grand philosophe, vous en avez toujours parfaitement la culture esthétique, et qu’il y a des lectures médicales, il y a des lectures picturales des grands philosophes, ou des lectures affectives des grands philosophes. Ce n’est pas que vous ne perdriez rien ; vous perdriez à ce moment l’aspect purement conceptuel, mais quelque chose de très profond qui est la philosophie même reste. Mais il reste qu’il y a une lecture affective de Spinoza qui a toujours coexisté avec une lecture conceptuelle. Il y a une lecture musicale de Leibniz qui coexiste avec sa lecture conceptuelle.
D’où mon appel à certains d’entre vous parce que je disais… je parle vraiment des remarques extrêmement [8 :00] grosses… Supposons cette époque, une époque où l’harmonie change de statut ; ce qu’on appelle harmonie tend à changer et subir une mutation. Supposons que, par exemple, l’harmonie ne se définisse plus par des intervalles, [pause] qu’elle se définisse par des accords. L’harmonie se définirait par des accords. S’ouvrirait alors peut-être un tout nouveau traitement concernant les dissonances. [pause] [9 :00] S’approfondirait tout un domaine des composantes intérieures du son. [pause] Se ferait la découverte d’une certaine tonalité sous le thème de centres tonals d’attraction. Voilà tout un groupe, l’harmonie qui renvoie aux accords, l’organisation de tonalités de centre, et de centres d’attraction. Bon, c’est sur ce premier point, moi, que je demande à deux qui ont travaillé [10 :00] avec nous cette année d’[y] mettre un peu de clarté, parce que la question, pour nous, c’est : est-ce que cette nouvelle harmonie, par exemple, qui renvoie à des accords, et n on plus exactement à des intervalles, est-ce que cette nouvelle harmonie sera dit précisément d’une caractère horizontal de la musique baroque ? Est-ce que ce n’est pas ça, que, d’une certaine manière, Leibniz opère ? Et lorsqu’il nous parle de l’harmonie de l’âme et du corps, il définit des accords, ce qui est absolument nouveau philosophiquement, et non plus par des intervalles, ou par des influences. [11 :00] Et lorsque Leibniz nous dit [qu’] il distingue trois manières de concevoir les rapports de l’âme et du corps : l’influence, l’assistance, et le consentement, est-ce qu’il ne tourne pas autour de notions beaucoup plus musicales que l’on croirait d’abord ? [pause] L’influence, renvoyant à la mélodie pour des raisons que j’aurai aujourd’hui à faire un cours, je me sentirais plus sûr là-dessus ; l’assistance, renvoyant à un certain type de contrepoint et une évolution de contrepoint ; et le consentement, faisant appel à une conception de l’accord et des accords.
Mais enfin, c’est là-dessus que [12 :00] je voudrais… J’ai demandé à Pascale Criton et à Valls [peut-être Vincent Valls, nommé plus tard dans la séance] de nous démêler un peu cette histoire pour la musique baroque autour de cette mutation de l’harmonie. Et il faudrait presque dire… Eh oui, tu parles à des philosophes, à des gens qui ne savent pas la musique là, et tu vas leur faire saisir un concept musical. [13 :00] Tu le mènes comme tu veux et si j’ai quelque chose à poser, d’accord.
[Pascale Criton commence à parler ; le contenu reste peu audible surtout à cause du micro éloigné d’elle et des bruits ambiants dans la salle. Elle fait un survol de l’importance des voix basses et aigues dans l’évolution de l’harmonie et des accords à l’époque baroque.] [13 :10-18 :50]
Deleuze : Pardon, je peux poser une question ? C’est juste une question. Si je comprends bien, tu es en train de nous parler de la condition pour que [19 :00] l’harmonie se découvre et se définisse par l’accord, et non plus par l’intervalle ; c’est d’abord un nouveau régime des voix, [Pascale : Oui] et non pas à [inaudible], est-ce vrai ? [Pascale : Non, c’est-à-dire_… _] C’est ce que je voudrais que tu indiques mieux…
[Ici, la transcription ci-dessous continue à partir du film tourné pendant cette séance, et la chronologie indiquée entre crochets correspond au tournage. Pourtant, étant donné que quelques morceaux de la séance sont sautés dans le tournage, j’indique aussi entre crochets les passages transcrits de la version audio.]
Gilles Deleuze: … c’est-à-dire, il n’y aurait pas d’harmonie déterminable par l’accord si l’on passait par le nouveau régime de voix.
Pascale Criton: C’est qu’il y a eu des accords; il y a eu une notion d’accord… C’est un accord vertical qui trouverait l’ensemble des voix.
GD: C’est ça, ouais.
PC: Tandis que là, ce n’est plus… C’est ce qui régissait l’ensemble des voix. Donc là, on passe dans un phénomène… C’est des petits textes qu’on retrouve de la Camerata de Florence, de Montiverdi et des autres de cette époque-là [1 :00] qui s’appuyait énormément sur le savoir-faire des chanteurs. C’est-à-dire ce sont les chanteurs qui ont amorcé cette façon de faire et qui ont inventé avec les compositeurs… C’est-a-dire il y avait donc une rencontre continuelle, constante, voulue, un travail très serré entre les poètes, les poètes plutôt lyriques comme Pétrarque… non, pas Pétrarque… Le Tasse, enfin, il y en a plusieurs, [Ottavio] Rinuccini, les chanteurs et les compositeurs. [Saut dans le montage]
[GD : J’ai à te dire que c’est importante pour moi, ta question. Ou bien on dit – et cela me semblait ta tendance – ou bien on dit, il y a un nouveau régime de voix, et c’est ce régime de voix qui a permis le nouveau surgissement, le surgissement d’une nouvelle harmonie déterminable comme accord ; ou bien on dirait – ce qui m’irait mieux, mais si c’est faux, si ce n’est pas possible de le dire, ben, tan pis, ce n’est pas grave – ou bien ce qui m’irait mieux, c’est de dire que, vous comprenez, de tout temps on s’approchait d’une tournant dans l’essence] (retour à la version filmée) entre déjà en lutte ou entre en conflit deux directions possibles qu’on appelle ordinairement, de manière très vulgaire, l’horizontal et le vertical. [2 :00] La mélodie est par nature horizontale, est dite horizontale, et l’harmonie avec les accords, les accords entre sons, impliquant un contrôle vertical traversant plusieurs lignes horizontales.
Et puis, je saute à un tout autre aspect ; ça, c’est une chose : il y a mon cheminement horizontal de la musique mélodique, ma construction verticale des accords, ça éventuellement l’harmonie ne se définira par l’accord que lorsque la ligne verticale acquiert, pour des raisons quelconques, une espèce d’autonomie. [3 :00] Voyez ensuite l’histoire de la musique -- et je précise que ce que nous faisons ici n’est pas l’histoire de la musique -- ce que posera le vrai problème, c’est qu’il y a de tout temps en musique, c’était toujours les diagonales qui existaient comme accords, comme en peinture, comme en tout… Donc que tout ça était abstrait. [Saut dans le montage, sans interruption de la piste sonore]
Deuxième point, dont j’ai tiré un grand problème musical en général, mettant en jeu le concept, à savoir de mélodie horizontale et d’harmonie verticale, et leur combinaison diagonale. Et puis il y avait un tout autre problème. C’est que la musique a toujours été un agencement, une machinerie, et que faire de la musique signifiait machiner des voix et des instruments, des voix entre elles, des instruments entre eux, des voix avec des instruments, et des instruments avec des voix, [4 :00] et que la machination instruments-voix, l’agencement voix-instruments, a toujours eu des variations très, très importantes. Et que… Alors là, je reprends le premier thème de Pascale. Oui, dans le contrepoint, voix et instruments sont comme strictement -- ce qui représente déjà des choses de génie, comprenez? Ce n’est pas du tout du négatif – sont d’une certaine manière interchangeables. Interchangeables, qu’est-ce que ça veut dire ? Enfin, je parle très vite ; vous me corrigerez, vous qui savez… Je vois déjà que tu as l’œil sévère, et cela m’inquiète un peu. [Deleuze indique Pascale Criton] Supposons… [5 :00]
Et puis, avec le début de la musique baroque, au contraire, là je reprends, non plutôt je renvoie à ce que Pascale vient de dire [Deleuze semble parler directement à Pascale]. Il y a des différences de nature très forte qui apparaissent entre les voix, d’où l’importance de la basse continue, eh ? Toute cette histoire de la basse et de l’aigue, mais aussi il va y avoir de nouveaux rapports entre voix-instruments qui vont engendrer un type de machination entre les voix, et entre les voix et les instruments tout à fait différente… [Pause] si bien que, voilà, juste une remarque que… Est-ce que plutôt faire dépendre harmonie-accord de l’histoire des voix, on ne pourrait-on pas le considérer, que c’est comme deux faces ? [6 :00]
Richard Pinhas: J’ai une question, je dois dire.., C’est très important. Bon. Une fois dite que tout ce qu’a dit Pascale est absolument correct, il me semble qu’il y a … C’est quand même important ; il y a comme une espèce de renversement qu’il fait établir, à savoir que la modification est interne à la machine musicale et secondairement, pas que ce soit moins important, mais tout aussi important, mais secondairement, arriver au niveau des voix, c’est-à-dire c’est après coup que les voix vont être transformées. Qu’est-ce qui se passe avec le passage de la musique classique à l’époque et du passage au Baroque, ce qui est un acte révolutionnaire marqué par des étapes très, très tranchées ? J’essaie de les nommer, c’est principalement Montiverdi, [Dieterich] Buxtehude et Bach, une fois dit qu’on va assister à quelque chose qui va être "la musique des sphères", c’est-à-dire qui va être vraiment de la musique de l’harmonie préétablie, de l’harmonie universelle, revendiquée comme telle par les musiciens, ce qui fait que – c’est encore une parenthèse dans une parenthèse – on a un développement parallèle et continu de la musique au niveau de ce qui est l’harmonie et de la philosophie [7 :00], au niveau de ce qui est l’harmonie préétablie chez Leibniz.
Alors qu’est-ce qui se passe avec la musique baroque, une fois dit que ça va renvoyer à un développement des voix ? Mais en après coup, on a d’abord l’établissement des rapports de consonance de basses que viennent effectuer et remplacer les contrepoints mélodiques habituels. On a une dominante flottante au niveau de la tonalité, c’est-à-dire qu’on a l’instauration d’une tonalité qui va passer d’une dominante flottante à une dominante fixe. On va voir une espèce de modulation et une variation continue du tempo, comme a dit Pascale, et on va voir un terme très important en musique, comme on a vu la dernière fois avec Rameau. Je pense que c’est un terme qui a résonance philosophique très précise: on va voir une inflexion majorisée. Ca, c’est en gros les points techniques qui viennent marquer la machine sonore elle-même.
Or le point le plus important au niveau de ce changement qui est pratiquement une révolution au niveau musical qui est entamé pleinement à partir de Montiverdi et qui va bien sûr se répercuter au niveau du traitement des voix, mais qui est fondamentalement un changement dans la machine musicale elle-même [8 :00], c’est-à-dire on passe des intervalles à une série d’accords. On passe d’un monde qui sera presque un monde pré-baroque, qui sera incarné par des philosophes comme Jakob Böhme ou [Marin] Marsenne, à quelque chose qui est une continuité, à une espèce d’harmonie infinie, à un continuum infini incarné [On entend Deleuze faire un bruit de voix] aussi par Bach dans la musique, que par…
Alors, je finis: ce qui est très, très important, c’est qu’on arrive à des consonances de basses et ces consonances de basses vont devenir de véritables référents. Et ce qu’il faudrait que tu expliques [il s’adresse à Pascale], parce que je crois que tu as commencé tout à l’heure, c’est : ces termes de consonance et de résonance qui sont si importants pour un musicien, elles ont, je crois, leur pendant en philosophie et surtout chez Leibniz, et que ces consonances et ces résonances, qui vont donner vie à toute une série d’harmoniques, qui vont être justement la résonance et la consonance des accords entre eux qui vont donner naissance à un nouveau monde, qui va être le monde de l’harmonie, le monde de la musique des sphères, le monde de l’harmonie préétablie en musique. Et je pense que si tu définis un peu ce que c’est [9 :00] en musique la consonance et la résonance, si tu peux arriver à explique ça, ça serait bien.
Deleuze: Alors c’est moi qui ait tout brouillé en mettant … parce que ça, maintenant, ça se complique, ça devient, enfin pour moi, encore plus intéressant parce que, vous voyez, tout se passe comme si on pourrait dire trois choses : [Deleuze regarde Pinhas] Pascale disait, elle dans son exposé, elle nous disait: prenez bien conscience que quelque chose de nouveau surgit au niveau des voix, et que c’est cette différence qui éclate au niveau des voix, qui n’était pas comprise dans la musique précédente, dans la musique de la Renaissance. C’est cette différence qui va rendre possible l’harmonie par l’accord. Moi, j’intervenais alors assez timidement en disant que ça m’arrangerait mieux – et on peut toujours essayer – [10 :00] ça m’arrangerait mieux que pour le moment, on tienne compte de ça comme deux variables indépendantes. D’une part, pour des raisons à voir, là-dessus que vient de suggérer d’ailleurs Richard, l’harmonie se définit par l’accord et non plus par… là… je ne sais plus quoi là… [les voix des étudiants s’entendent]… par l’intervalle. Et d’autre part, la machinerie voix-instruments ne se fait plus du tout de la même façon. [Saut dans le montage]
[La séance continue avec Pascale Criton, dont les propos sont brièvement coupés par le tournage, d’à peu près trente secondes, et sont peu audibles sur la version audio. Elle reprend en medias res; Deleuze l’écoute en fumant une cigarette]
PC: … l’héritage de la musique écrite, de la musique savante. Je ne dis pas [Deleuze :_ Oui_] qu’il n’existe pas d’instruments – il serait fou de dire ça – mais l’écriture pour les instruments n’existait pas.
Deleuze : C’est ça !
PC : Donc, on ne peut pas dire que la voix soit venue après. C’est absolument… [11 :00]
Deleuze : Mais on peut considérer cela comme l’état d’une machinerie qui n’introduit aucune différence.
PC : Oui, absolument. Il y a une échange. Il y a une échange, mais l’échange est, quand même, pendant tout le début de l’époque baroque, est très importante.
Deleuze : Et ce que tu as appelé tout à l’heure l’égalité… C’est ce que tu as appelé toi-même l’égalité.
PC : Oui, mais il me semble que c’est très important de sentir ce qui se passe au début de la [musique] baroque parce qu’il y a une rupture ; c’est la rupture d’un monde. Il y a l’écriture du contrepoint de Gustave Huder [référence introuvable], par exemple, mais un peu plus tard. C’est en Allemagne, et en Allemagne, le Baroque est venu très, très tard, et ils ont conservé l’écriture du contrepoint, et ils ne l’ont jamais lâchée…. [inaudible]
Deleuze : D’accord. Alors, il n’y a pas de problème là-dessus. Mais la troisième position de Richard était: est-ce qu’on peut parler encore, même commencer par définir, [12 :00] l’apport baroque des accords ? D’où son appel de repartir d’une définition des consonances et des dissonances, je suppose.
PC : Oui.
Deleuze : Commencer par le problème des accords et des résonances harmoniques.
PC : Mais les dissonances ne sont pas harmoniques au départ ; elles sont mélodiques, elles sont expressives, et c’est le fait que les voix expriment des choses [pause]… C’est le fait d’une telle expressivité des voix qui permet le chromatisme.
Deleuze : C’est très intéressant, ça, tu vois, parce que là, je ne sais pas si tu ais raison, mais tu as réjustifié et tu maintiens ton primat, avec une toute petite différance : tu maintiens ton primat des voix qui, à ton avis, [13 :00] pour comprendre le problème, il faut partir des voix. Alors c’est très possible… [PC essaie d’intervenir] mais je voudrais souligner…
PC : Mais les instruments passent leur temps à imiter les voix à cette époque.
RP : Est-ce que je peux faire une remarque ? C’est que…
PC : Tandis que les indications instrumentales sont "col cantare", comme les voix, etc. Toutes les imitations des…
Deleuze : Ca, c’est un argument historique très précis…
RP : Seulement une chose : ce n’est pas du tout une négation, mais pour soutenir ce que dit Pascale. Le chromatisme est, effectivement, une des composantes fondamentales dans la construction de la musique baroque. Et cette espèce de généralisation dans le chromatisme plus ouvert par rapport à ce qui va se développer ensuite, mais c’est très, très important parce que c’est une espèce de retournement de la musique. Du reste, si on parle d’un chromatisme retourné aussi dans Montiverdi… c’est un chromatisme qui naît pleinement avec Montiverdi, qui fait partie pleinement de son style et qui s’applique à la musique elle-même, et après coup ou en même temps, mais c’est par inférence, ça, et presque par déférence [14 :00] que ça va s’appliquer aux voix.
La seule chose qui me choque un petit peu, enfin, qui me gêne un petit peu, c’est-à-dire que la musique n’existe pas avant le Baroque, et tout est surdéterminé par les voix.
Deleuze : On laisse ça… On laisse ça, parce que ce qui m’intéresse, c’est la différence des deux positions, mais je sens qu’il n’y a aucun conflit. [A Pascale] Tu tiens, en effet… Il faudrait savoir pourquoi tu t’y tiens. Parce que ça m’intéresse quant à Leibniz.
PC : Parce que dans le contrepoint, tout ce qui est dissonant – et encore, j’espère que tu me comprends, je lâche là un peu pour tout le monde – ce qu’il y a, à l’époque de la Renaissance, on s’appuie sur la résonance, sur les principes de la résonance qui sont les premières résonances du son. Et le principe, il n’est pas, il est réglé, en fait, on fait attention à ce que les voix se superposent en respectant la résonance. [15 :00]
RP : Tu ne peux pas expliquer un peu ce qu’est ta résonance parce que c’est important pour tout le monde.
PC: Oui, mais ce qui nous intéressera plus, c’est la consonance. La résonance…
Deleuze: Oui, oui… [Deleuze intervient pour réorienter la discussion] Continue… Je crois qu’il n’y a pas besoin de l’expliquer. Non, tu continues… Consonance, résonance, je suppose qu’on va y arriver [après]… Continue en utilisant les mots…
PC: Et dans l’écriture du contrepoint qui régit l’unité de la résonance, on prépare les dissonances, c’est-à-dire, il y a tout le jeu de l’écriture du contrepoint. C’est le mouvement. Pourquoi les voix sont toujours laissées en l’air, un espace les unes entre les autres ?
Deleuze: C’est une ouverture formidable de dire ça. Tu as complètement raison. Or [16 :00] je n’ai pas besoin de faire… C’est une application brute. Qu’est-ce qu’il faut retenir de l’harmonie préétablie chez Leibniz? C’est une ouverture du fameux "le meilleur des mondes possibles," c’est une ouverture formidable vers la dissonance. C’est un art de la dissonance.
PC : Voilà. Ce que je voudrais ajouter, c’est quand je dis voix, quand je parle du contrepoint et je dis voix, je ne dis pas forcément la voix chantée. On dit voix en musique, c’est-à-dire la conduite des voix qui sont instrumentales et vocales. On appelle ça "une voix”. Je voudrais préciser qu’avec voix, je ne veux pas dire "voix chantée".
Deleuze : Bien sûr, bien sûr… Je voulais… Voilà… Je lis là dans un livre classique sur la musique baroque : "Alors que l’harmonie par intervalle de la Renaissance n’admettait que des accords parfaits et des accords de sixte [sixth chords], les autres combinaisons étant fondées sur les retards, [17 :00] la polarité entre la basse et le soprano," et ça te donne raison là, "ouvre la porte à de nouvelles possibilités harmoniques qui, pour les experts de l’époque, semblent le début du chaos." [La référence qu’il lit est peut-être de Manfred Bukofzer, Histoire de la musique baroque 1600-1750 (1982), cf. _The Fold, _note 33, p. 163 ; _Le Pli,_ note 32, p. 185_] C’est-à-dire, c’est les dissonances, c’est le monde des dissonances. Alors là, on voit un petit quelque chose avant que tu ne reviennes à… Toi, toi, [Deleuze s’adresse à un autre étudiant] comment tu vois la question par rapport à ce qu’elle a dit… Je peux dire tout autrement que…
[Vincent] : Je suis fondamentalement d’accord avec Pascale. Donc, j’ai peu de choses à ajouter. [Pause] Je pense qu’il y a une chose qui est fondamentale, c’est que la musique, la polyphonie franco-flamande [18 :00] est aussi avant tout une musique sacrée qui a refusé, à mon sens, l’expressivité, et c’est ce désir de faire entrer l’expression des sentiments dans la musique qui va passer par la mélodie accompagnée et l’emploi du chromatisme de certaines formules. Je pense également qu’il y a un rapport au texte et à la voix…
Deleuze : [Pause de réflexion] Ouais… Là je peux poser… et la question est peut-être prématurée parce que je ne suis pas du tout sûr de moi, ça va de soi. Quand vous dites, tous les deux, avant… [Pause de réflexion] il n’y avait pas, ça simplifie, [19 :00] il n’y avait pas expressivité, moi j’avais tendance plutôt à penser que la découverte baroque de l’harmonie avait fondé une toute nouvelle expressivité, et que c’est cette nouvelle expressivité qui allait faire scandale. Parce que, avant, il y avait bien une expressivité. La musique était parfaitement expressive, et il me semble que c’est confirmé par tous ceux, appelons-les pour faciliter, par tous ceux qui sont réactionnaires à l’époque de la musique baroque, tous ceux qui voudrait rentrer en arrière, et dont le thème principal est "le Baroque ou la découverte des accords, l’harmonie par accords," flanque en l’air l’expressivité. [20 :00] [_Lacune dans la version audio ; changement de cassette : _La vraie expressivité, c’était quoi ? C’était pour eux l’inflexion. C’est l’inflexion mélodique, mais elle est présentée comme la seule expressivité.] Alors, je prends par exemple un auteur qui musicalement est en effet (en retard) par rapport à son temps, Rousseau. Sa position contre l’harmonie baroque, c’est tout le temps… Mais… Vous tuez l’expressivité. L’expressivité ne dépend pas des accords. Ce qu’on reprochait à la musique baroque, surtout, c’est beaucoup plus, d’avoir prétendu – et ça, alors ça m’intéresse quant à Leibniz – c’est d’avoir prétendu faire dépendre l’expressivité des accords. Et on voit bien ce qu’ils veulent dire. Comment voulez-vous que de l’expressive sorte d’un accord de sons ? [21 :00] [Pause] Ce n’est pas ça ?
PC : Ce n’est pas. C’est le contraire.
RP : Je voudrais dire juste un mot… Attends, juste un petit mot [Deleuze semble vouloir continuer sans interruption] … Il faudrait se mettre, pour les gens qui ne connaissent pas, dans la position des gens qui écoutaient la musique au début du [vingtième] siècle, le Pierrot lunaire de Schoenberg. L’inflexion du récitatif, c’est exactement ce qui se passe dans les pièces de Montiverdi. [Deleuze a l’air résigné] Ce qui se passe, c’est qu’il y a une espèce de torsion radicale qui est infligée, d’une part, au texte, et d’autre part, à la ligne mélodique majeure et aux lignes continues. Et ça, à la même inflexion dans un autre registre, c’est exactement la même chose avec l’apparition des pièces majeures de Schoenberg.
Mais la chose principale que je voulais dire que, peut-être par delà ce qu’on a pu dire sur l’expressivité, sur le changement harmonique lui-même, quoique le problème des âmes harmoniques devienne prépondérant, et j’insiste là-dessus, le fait qu’il y a une dominante fixe à la place de la dominante flottante, je crois est un point très, très important. C’est courant dans un monde avec la musique baroque de la simultanéité [22 :00], et on passe effectivement à un monde du vertical, c’est-à-dire qu’on change complètement d’axe. Et la révolution s’incarne de là, et on rejoint en résonance totale l’apport de Leibniz parce qu’il me semble que la philosophie de Leibniz, c’est l’ouverture, c’est l’entrée dans un monde de la simultanéité.
[Vincent …] : Ce qu’il y a aussi… La dominante fixe suppose une unité de l’échelle, et cela est postérieur. L’échelle n’existe pas encore unifiée à l’époque de Montiverdi. Il faut attendre pratiquement un siècle, [Deleuze : Oui] et cela variera selon le pays. L’unification de l’échelle va beaucoup plus rapidement en Allemagne. Bach écrit dans une échelle complètement unifiée, y compris les tons mineurs, avec les trois tons mineurs qui peuvent éventuellement se superposer. Alors qu’à la même époque en France, le mode mineur est encore plus fluctuant ; il n’est pas encore complètement unifié. Mais moi, j’aurais tendance à dire que les compositeurs comme Montiverdi [23 :00] ne recherchent pas cette unification parce que ça leur permet tellement de jouer sur l’ambiguïté, jouer sur les deux tableaux [Deleuze : Surement.] et c’est ce qu’on peut très bien entendre dans une œuvre qui est pour moi importante, c’est l’_Orfeo_ de Montiverdi, parce qu’on y trouve cette différence radicale entre les scènes pastorales qui ne sont pas encore tonales, mais on voit ce qui instaure un rapport d’échelle, donc un rapport à dominante tonique qui suppose à toutes les parties récitatives d’autres œuvres ou d’_Orfeo_ même qui sont beaucoup plus modales et qui s’opposent. Cela leur permet de jouer (sur les niveaux) et d’avoir, d’un côté, une harmonie qui dérive de la musique de danse qui est la musique pastorale, et d’autre côté, d’avoir une espèce d’errance qui leur permet d’exprimer et d’opposer les deux sentiments. [24 :00]
Deleuze : Là, je te suis complètement, mais à mon avis, nous n’avons qu’un problème à cet égard. Si tu veux dire que de telles mutations se font sur de larges périodes de temps, c’est vrai non seulement pour la musique, mais aussi pour la philosophie. C’est-à-dire, par exemple, on ne peut pas dire qu’ "avec Leibniz, il vient cette phase". Il joue encore… il y a tels éléments de Cartésianisme qui subsistent, et il y a tels éléments de la Renaissance qui subsistent, et il joue avec tout ça ; et que tu dis que le musicien, et alors aussi le philosophe ou le peintre, ça n’empêche pas à mon avis, ça n’empêche pas ce qu’on peut appeler "les rigueurs du concept," le concept ne disant pas, "à partir d’un tel moment, il y a ceci", mais le concept précisément faisant valoir les germes de nouveauté qui travaillent encore dans l’ancien. [25 :00] Comment ils vont précipiter, se décaler, etc. Là on est… Bien sûr, il faut ajouter que tous les indices de temps que tu…
PC : Pourtant c’est important parce qu’il demeure avec la bipolarité de la basse et de la mélodie, c’est de nouveaux rapports. C’est-à-dire qu’il y a des forces, de nouvelles forces qui entrent en jeu, et que ces forces, elle sont … un peu les accords qui étaient plaqués pour soutenir le jeu instrumental ou vocal ; ils deviennent peu à peu fonctionnels, ils entrent dans ce nouveau rapport qui est celui de forme alternée, de forme opposée, de dialogue, de réponses de groupe à groupe, d’étages qui communiquent les uns entre les autres. [26 :00] C’est ainsi que les accords peu à peu ont des rapports de tension, des rapports de force. Donc, il y a un rapport essentiel qui naît, qui est le rapport de quinte, qui va être déterminant pour la construction du système de consonances. La quinte est un… Quand on fait résonner un son, on a donc la série des harmoniques, qui est l’harmonique plus forte que l’harmonique qui revient le plus souvent, et qui est le facteur le plus déterminant pour l’identité d’un son.
Deleuze : Pardon, est-ce que tu peux très rapidement juste donner une idée générale, pour tout le monde, cette liste, ces accords ?
PC : Il y a un accord dans le son, oui.
Deleuze : Dominant, tonique… Quel serait l’ordre ? [27 :00]
PC : Ce qu’il faut comprendre, c’est que le son est un accord en lui-même. Le son est un accord. On construit la gamme en couchant [curving, flattening] l’accord qui est dans la résonance du son. [Deleuze : Bon !] C’est quelque chose qui est simultané et couché, c’est-à-dire reporté à l’horizontal, et qui donne des points qui constituent la gamme tonale, la gamme d’une tonique. Et c’est un rapport de parenté qui est créé dans une tension. Et cette tension, elle se constitue par l’harmonique qui est la quinte, qui est la troisième harmonique.
Deleuze : Donc, j’ai un centre tonique déjà…
PC : Oui, il y a un centre tonique qui est un point X, un point où on prend un son et dit que ce son caractérise…
Deleuze : Et puis j’ai des harmoniques [PC : Voilà] J’ai un centre tonique et des harmoniques. [PC : Mais tout son…] Qu’est-ce qui me donne là-dessus la dominante ? [28 :00]
PC : La dominante, c’est le fait que quand on entend un son, on ne suppose pas qu’il vienne du néant ; on va supposer qu’il vient d’un état résonant et donc qu’il procède d’un autre son. [Deleuze : Ouais ?] On ne donne pas un do, un re, un mi comme ça, à priori. Il est généré par quelque chose d’autre. [Deleuze : sous-dominante…] Attends, non, non, non, ce n’est pas ça. Il est généré par le fait que, dans le son, la première harmonique, c’est l’harmonique qui redouble ce son, c’est-à-dire on a un do, l’harmonique, ça va être le do d’en-dessus, l’autre octave, qui est dans un rapport d’identité. Il n’y a pas d’altérité, c’est-à-dire ce do va avoir les mêmes harmoniques, et ça ne va rien ouvrir, il n’y a pas de génération. La première génération, c’est la seconde harmonique importante, c’est celui qui reviendra le plus souvent, mais en deuxième importance, disons, [29 :00] et ça va être la quinte. Bum, baaa [PC chante deux sons et rit] Voilà une quinte et ça c’est la dominante, la dominante de tout son. C’est la quinte ou dominante, comment dire ? C’est l’expression de la première altérité d’un son, c’est ce qui va générer un cycle, qui va ouvrir les sons les uns aux autres… Ca va ?... Et c’est très important parce que c’est là qu’il y a une tension, qui fait que les sont ne sont pas des mesures juxtaposées, mais ont un rapport dynamique les uns entre les autres, un rapport où la résonance est conçue comme quelque chose d’extrêmement précis. On ne peut pas se promener n’importe comment. Et la façon dont les premiers accords du Baroque [30 :00] agissaient n’était pas encore tendu, dynamique. Et je vois, moi -- je l’explique comme ça ; je crois que certaines personnes ressentent ça dans la musique -- il y a un lien entre le fait qu’il y a une tension dramatique, il y a une ouverture des tensions dans la musique, dans la pathétique, dans l’expression propre au Baroque qui fait qu’on a besoin de trouver dans les sons des appuis qui vont construire des progressions de tension, des progressions qui vont devenir de plus en plus hiérarchiques, qui vont devenir fonctionnels les unes par rapport aux autres… Je vais trop vite ?
Deleuze : Je voudrais reprendre tout de suite ma question : ces découvertes appartiennent… ?
PC : … au Baroque, au cycle des quintes…
GD : A l’analyse de l’accord, de l’harmonie par accord…
PC : Oui, mais tout ça va lentement parce que, par exemple, Rameau a une…
GD : D’accord, cela arrive très lentement sous des conditions que…
PC : Et c’est très lié aux besoins de la musique, [Deleuze : D’accord] [31 :00] d’exprimer des choses…
GD : Bien, mais est-ce que ce n’est pas une voie où précisément tu pourrais faire ton explication indépendamment du problème des voix ?
PC : Ehhhhh… [Pause de réflexion] Je ne sais pas ; non, pas vraiment. Tous les auteurs qui ont été déterminants et qui ont été vraiment les normes…
GD : Oui, c’est ça qui m’intéresse…
PC : … ont commencé par travailler avec les voix. Le madrigal est vraiment la forme qui évolue le plus vite et qui apporte le plus. [Deleuze : J’entends bien] Il n’y a pas un madrigaliste qui n’ait pas fait un madrigal qui apporte une nouveauté entre les années…
GD : Mais je ne peux pas dire que cette condition de voix était une condition pour cette nouvelle organisation de l’harmonie par accords ?
PC : Attends, répète… La condition des voix était une condition de… ? [32 :00]
GD : … était une simple condition pour la découverte de cette harmonie par accords et des déterminations de cette harmonie par accords… Mon souci c’est toujours, est-ce que je peux séparer les deux lignes conceptuelles ou est-ce que je ne peux pas les séparer… [Saut dans le montage]
[Version audio : PC : Bien sûr, tu peux les séparer (Les propos suivants de PC sont peu audibles, pendant à peu près 90 secondes_)
GD : Oui, cela m’intéresserait d’autant plus que ce serait deux lignes alors ; philosophiquement ce serait deux lignes différentes chez Leibniz qui, elles aussi, convergeraient, se recouperaient…
PC : (propos inaudibles, puis retour à la version du film)] Bach utilise et relance ces voix en parcourant par quinte tous les degrés diatoniques. [Deleuze : Oui, oui, oui, oui] Il y a cette notion de cycle et cette notion de graduation, de passer… d’étagement de grades. [Deleuze : Oui, oui, oui, oui]
Deleuze : Oui, je voudrais juste faire un point très, très rapide là. On se rend compte que, ceux qui pensent à Leibniz se rendent compte déjà d’un petit amalgame, que lorsque Leibniz parle de l’accord des âmes entre elles, [33 :00] on peut se dire, bon, c’est une manière de parler, comme ça ; il y a l’équivalent chez Malebranche, chez Descartes, il y a l’équivalent chez plein de philosophes. Et bien, peut-être, peut-être pas. Peut-être qu’il introduit déjà une notion d’accords qui n’est pas loin de ce qui se passe à ce moment-là, ou ce qui s’est passé dans la musique, et que les rapports entre monades, tels qu’on les a vus, vous savez, il y a une principale, des dominantes, les sous-dominantes, peu importe mais… Tout ça est très lié à quelque chose d’absolument nouveau au point que ce n’est pas comme on le dit, [34 :00] une variante concernant les théories de l’union de l’âme et du corps chez Leibniz. Ce n’est pas une variante ; c’est quelque chose de tout à fait nouveau et qui est lié à une nouvelle conception de l’harmonie, bien qu’il ne puisse pas l’invoquer pour la raison qu’a dit Vincent, parce que c’est une conception de l’harmonie qui s’élabore, sans doute, dans plusieurs domaines. Elle s’élabore à la fois en astronomie, en physique, en mathém… [pause], en musique, en philosophie, et elle s’élabore sur des dizaines d’années.
Et enfin, on fait un pas en avant un petit peu. Tu as quelque chose à ajouter, Vincent ? [Vincent : Non, pas pour l’instant] Pas pour l’instant. [Deleuze se tourne vers le tableau, s’adresse à Richard Pinhas] Et tu voudrais … ?
RP : Non, je viens juste de dessiner une table des harmonies [35 :00] pour que les gens voient…. Quand un son est donné, fondamentalement [Pinhas se réfère à un dessin qu’il a fait au tableau], il y a les résonances qui arrivent par niveaux, exactement comme l’a expliqué Pascale, qu’on voit d’une manière projetée. On arrive à comprendre qu’il arrive la quinte, la tiers, la septième, la neuvième, etc., une fois dit que la table des harmonies commence par étapes. L’harmonie, c’est une partielle du son fondamentale qui vient… Les termes sont très importants parce que la notion d’harmonie, qui pour nous est fondamentale chez Leibniz, est fondamentale en musique et notamment à cette période parce qu’il y avait simplement, comme tu disais, Pascale, tout à l’heure, une zone de fusion qui arrive entre le vertical et l’horizontal, et c’est dans cette zone de fusion que va naître le Baroque. Alors, le rapport des consonances des accords, c’est comme s’il y avait des espèces de projection de virtualité. Les résonances de l’accord, la table des harmoniques, sont à la lettre, littéralement, les virtualités. On est dans un monde où règne une temporalité – temporalité, ce n’est pas un bon mot – mais où règne une simultanéité. [36 :00] La simultanéité est représentée d’abord par le son, et puis ensuite par les accords, puis par la succession des accords, non pas dans leur succession, mais dans leur interpénétration, donc sur un axe littéralement vertical. Et il va y avoir en dessous des sons fondamentaux, en dessous des consonances fondamentales, il va y avoir une profusion et une prolifération des consonances virtuelles qui sont actualisées selon les modes techniques et selon les modes d’effectuation du compositeur. Et ce sont ces virtualités qu’on retrouve dans le domaine de la philosophie, et notamment … je dirais des virtualités inconscientes ou presque inconscientes qui vont être actualisées par le compositeur et qui vont former le nouveau système de consonances. Mais ça revient à ce qu’a dit Pascale…
Deleuze : On retombe là… Parfait… Pascale et Vincent, ils en étaient là, il me semble, à la question des consonances.
PC : .. C’était à propos des consonances, la ligne des basses au lieu d’être attentive à l’expressivité des voix mélodiques [37 :00] instrumentales ou vocales deviennent constructives à un univers harmonique, c’est-à-dire le rapport s’inverse, c’est-à-dire au milieu, fin baroque [Deleuze : (Tu) répètes… ?] … le rapport [Deleuze : Qu’est-ce qui s’inverse ?] Ce qui s’inverse, c’est que la basse devient harmonique à un point tel, c’est-à-dire… Ce dont on vient de parler, c’est-à-dire ce que contiennent les accords devient ce qui va… [Pause] ce qui va organiser un nouveau contrepoint. C’est-à-dire que le contrepoint se réinstalle, revient, mais il est organisé dans un plan qui est de plus en plus architectural par cette tension qui s’est créée, qui a créé une architecture, vraiment une architecture tonique des points, des points de rapport et de tensions à l’intérieur des vibrations des sons. Je m’explique… Ca va ?... et donc, [38 :00] par exemple, ce qu’on appelle la basse, ensuite ce qu’on appelle la basse modulante ou la basses "ostinato" [ground bass] est une basse qui va donner tous les points par lesquels une composition musicale va évoluer et qui peut même donner la forme générale d’une composition, même très grande comme la Passion, les cantates de Bach. Ce n’est pas seulement la ligne de basse, ce n’est pas seulement local ; elle ne va pas avoir une action locale, alors qu’au début du Baroque, il y a une action très, très locale, elle avance par points, par touches ; elle soutient certains endroits et le reste du temps, elle attend, tandis que là, cinquante ans plus tard, elle n’attend plus du tout.
Vincent : … est considéré "le rythme harmonique" [Deleuze : C’est ça. Oui ? Pascale : Voilà] L’harmonie baroque a son rythme qui presque ignore les rythmes des voix dans le sens de la ligne. [39 :00], et qui peut avoir son propre rythme qui est également indépendant du rythme de sa basse, parce que par le jeu du renversement, on peut y avoir un même accord tandis que le rythme de sa basse a son propre rythme ; on va avoir le rythme de l’harmonie qui va s’établir. [Deleuze : Oui, oui…]
PC : Et ce rythme de l’harmonie qui s’est accélérée, qui s’est densifiée, je crois enfin, on explique que c’est dans des circonstances où l’action dramatique devait être de plus en plus soutenue – enfin, c’est ce que les musiciens s’expliquent – que la basse a dû construire des chemins, a dû construire des fonctions de plus en plus précises, de plus en plus complexes. C’est ça qui… Il y a quand même un rapport aux voix qui pendant tout le début du Baroque, je ne sais pas, on ne peut pas l’oblitérer. Ensuite cela devient instrumental, parce que tout se rapporte dans [40 :00] les styles, du style concertant instrumental qui est l’héritier vraiment des façons du madrigal, des madrigaux et des… C’est difficile de ne pas penser aux voix au début du Baroque. [Deleuze : Tu reviens à la… Pascale sourit à la réaction de Deleuze] Et puis, après qu’on apprend, on oublie !
RP : Peut-être on peut dire, et je crois que la formule (est exemplaire), que les voix, et c’est très important, sont comme pliées. C’est le terme qu’on emploie en musique…
Deleuze : Les voix pliées, oui, ça existe.
RP : Elles sont pliées sur l’axe vertical ; ce n’est pas une métaphore. Et c’est exactement ce que tu as dit [à Pascale]._ _ [Pendant que RP parle, Deleuze parle aussi à voix très basse, de façon inaudible, à quelqu’un à côté de lui] C’est-à-dire que les voix sont importantes, mais elles subissent un mouvement de torsion, sur l’axe vertical. Là c’est la première chose. La deuxième chose est importante dans le passage au Baroque ; c’est juste une remarque comme ça. Quand tu as dit tout à l’heure [à Pascale] qu’il y a la cadenza harmonique [harmonic frequency] qui arrive. Et qu’est-ce que ça veut dire, ça ? C’est littéralement ce qu’on appelle, avec les termes modernes, [41 :00] mais quelque part cela correspond bien aussi à la philosophie de Leibniz, une mise en variation continue du tempo. Et ça, ça fait partie – à proprement parler du matériau musical lui-même. Le terme "matériau" est un terme récent et relativement moderne, et cela fait partie du travail de la matière sonore.
Deleuze : C’est leibnizien. Il y a une continuité.
RP : Voilà. Alors, donc, on a une réorganisation du matériau qui passe aussi par les cadences harmoniques.
Deleuze : C’est la basse continue, et il y a l’équivalent chez Leibniz, qu’on n’a pas besoin (d’approfondir), cela a un rôle fondamental, parce qu’il y a même une loi, la continuité, c’est une loi de l’harmonie… [Pause] Oui, très bien… Ouais… Je suis déjà satisfait, et alors… Qu’est-ce que… [Deleuze se tourne du côté de RP]
RP : Peut-être Pascale pourrait nous expliquer un petit peu ce qui se passe au niveau du matériau [42 :00] dans ce changement du matériau sonore lui-même, comme par exemple, avec l’apparition d’un certain type d’orchestration, par exemple. On s’aperçoit que… Bon, moi, je donne juste une indication : c’est qu’il va y avoir un phénomène très moderne comme la stéréophonie, c’est-à-dire la répartition bipolaire des instruments. Autrement, je prends un exemple : au lieu qu’il y a un orgue au milieu, ou un orgue à droite, il va y avoir un orgue à gauche et un orgue à droite, et aucune écriture fait pour ça. Pareil pour d’autres instruments, donc, tout un tas de choses qui touchent au matériau. Et Pascale a raison d’y insister : c’est que la transformation de la musique de l’époque en musique baroque, elle se fait sur un siècle, un siècle et demi, et ça c’est pareil en philosophie. Je veux dire que tout ce type de mutation se fait sur un assez long temps, et donc l’écriture prend forme pendant beaucoup de périodes successives. Et je pense que tu pourrais peut-être dire quelque chose sur l’organisation de ce matériau, une fois dit qu’elle est, je pense, fondamentale dans le développement de cette continuité, de cette simultanéité qui prend naissance. [43 :00] [Regard sur le visage de PC qui écoute et réfléchit]
PC : Dès le début de la musique concertante [concertante music], dans la musique instrumentale de Venise, c’est surtout à Venise : d’abord il y a l’école vénitienne, puis l’école bolognaise, puis l’école française, puis l’école allemande. Et tout ça sur des générations qui se suivent. Et ce qui s’amorce, c’est effectivement des groupes d’instruments qui représentent… C’est des timbres, c’est vraiment des groupes de timbres, et ce qui est important, c’est du fait qu’ils sont différenciés, il y a des groupes (d’instruments) de cordes qui s’opposent aux groupes d’instruments à vent, avec des "continuo" chacun – chacun a sa basse continue – et c’est une organisation formelle qui est vraiment le début de tout… enfin, c’est le principe de la variation, [44 :00], des variations dans l’orchestration. C’est là que naît la musique instrumentale qui va donner l’orchestre ; c’est la naissance de l’orchestre. [Pause]… Ce n’était pas tout à fait, ça ?
Deleuze : Eh, si, ça me va tout à fait ; ça me va tout à fait.
PC : Vous savez, j’ai essayé de te répondre sur un plan plus stricte… enfin, sur un plan assez strictement musical parce que je crois que c’est à toi de faire la relation avec Leibniz.
Deleuze : Et moi, je ne veux plus rien faire. [Rires, surtout PC] Je ne veux plus rien faire. Moi, je voudrais rêver, qu’on rêve ensemble après ce qui suit : on aurait à travailler ensemble une autre année. Eh bien, qu’est-ce qu’on se serait dit en ce moment ? On se serait dit que c’est ça, c’est nous qui pouvons, c’est ça qu’on va faire [45 :00], parce que bizarrement, il me semble que c’est parfait vraiment. Il ne s’agit pas d’appliquer de notions de musique complexes à Leibniz. Il s’agit vraiment de chercher dans Leibniz en quoi cette idée, d’une part, d’un accord des âmes, d’autre part, d’une espèce de changement de direction dans lequel l’accord des âmes devient accord des âmes avec les corps. N’a pu se faire qu’en même temps un système – système nommé par Leibniz de l’harmonie préétablie – n’a pu se faire qu’en même temps à la musique. Opérer, à mon avis, c’est pour ça que je tenais -- que j’ai toujours essayé de réintroduire l’indépendance des deux facteurs… eh ? [46 :00] -- deux moments corrélatifs qui ont constitué la musique baroque et qui est la découverte de l’harmonie par accords avec tout ce que cela nous a montré comme signification, c’est-à-dire les composantes internes du corps résonnant, [Pause] et d’autre part, sans que là… l’autre aspect strictement complémentaire, une nouvelle machination des voix et des instruments. Ou si vous préférez, philosophiquement alors, une nouvelle machination des âmes et des corps. Ce qui voudrait dire quoi ? [47 :00] Ce qui voudrait dire que c’est dans la mesure où chacun suit ses propres lois qu’il entre en accord avec l’autre. Si vous voulez, c’est l’idée d’une autonomie des deux séries, qui va fonder la correspondance ou ce que Leibniz appelle le "consentement", et ce sera à partir de tout cette, presque, à faire rendre à Leibniz un sonore absolument.
RP : Il y un dernier point qui me paraît très important. [Deleuze : Oui ?] C’est en rapport avec les concepts musicaux récents qui ont une résonance totale avec la philosophie de Leibniz. Ils sont, d’une part, le synthétiseur qui est l’expression du monde, qui est une monade. [48 :00] La monade synthétiseur est l’actualisation existante du monde. Et d’autre part, un autre terme, un appareil, une machine technique qui s’appelle un harmoniseur, et c’est un appareil très, très important. Pourquoi ? Parce que c’est un appareil qui existe depuis une dizaine d’années maintenant et que Boulez utilise dans ses dernières créations depuis quatre ou cinq ans. J’aimerais bien faire un petit schéma pour expliquer comment ça fonctionne parce que cela met au jour la virtualité du monde musical qui est déjà présent complètement dans la musique baroque et qui montre comment les mondes différents qui sont incarnés par ces différentes virtualités qui sont les consonances, ces véritables pluralités, parce ses millions d’âmes harmoniques qui sont les résonances et les harmonies elles-mêmes. Il va y avoir une espèce de prise en charge, d’actualisations de certains auteurs, de certaines parcelles harmoniques, et ça va créer un monde technique très, très… je n’ai pas le terme exacte mais je dirais très modulé, quoi. [49 :00] Est-ce que je peux faire un petit dessein pour montrer comment ça fonctionne ?
Deleuze : Mais, certainement. Mais, certainement.
RP : Ca s’appelle vraiment un harmoniseur. Alors, je l’explique. [Il se met au tableau et trace le dessein tout en parlant]
Deleuze : Un dessein simplifié parce que ça, c’est complexe.
RP : A partir du moment où on émet une note quel qu’elle soit, ou un accord, il va y avoir d’abord un jeu temporel sur cet accord, c’est-à-dire que cet accord est décalé une fraction de second. Elle est non saisissable à l’oreille, c’est-à-dire une millième d’un second. Et un harmoniseur normalement travaille avec deux voix ou plus que deux voix. Donc ce n’est pas quelque chose de duel. Il va donner naissance, à partir d’un accord unique, qui est déjà constitué d’une pluralité de notes et donc de consonances, à une pluralité de voix. Et cette machine va traiter cet accord de manière à ce qu’il fasse résonner des accords préétablis par le compositeur et qui peuvent varier de l’un à l’autre. [50 :00] J’en prends deux comme exemple, mais on peut en imaginer beaucoup. Alors techniquement, ça se passe par un retard sur le temps qui n’est pas perceptible par l’oreille, un retard d’un ordre d’une centième ou d’une millième de seconds, qui s’appelle un delay, en anglais. Et à partir de cet accord, je vais pouvoir avoir, par exemple, ici la quinte et là la tiers – c’est pareil pour une note – je peux avoir donc des consonances de consonances. Et ce monde, qui est un mode de virtualités possibles, évidemment un monde de virtualité actualisable, est actualisable selon le désir… selon les lois de la composition qu’aura appliquées le compositeur. Donc ce sont en soi des fantômes de sons mais qui vont pouvoir être à un tel ou tel moment actualisés de manière à venir résonner entre ici et ici [RP indique le dessein], sur un plan qui est virtuel et qui passe à l’actualité par la mise en marche de la machine et les désirs du compositeur, ou qui vont venir résonner l’un avec l’accord de base ou la consonance de base, [51 :00] ou tous les trois en même temps, en "decine", une dizaine de sons qui sont déjà complexes, qui résonnent simultanément dans une espèce de monde continu, le monde de la composition et de l’harmonie préétablie. Et c’est comme si on avait aujourd’hui une réponse technique aux "grandes loi”, qu’avait… entre guillemets…
Deleuze : Au jeu… Je vous disais un jour que, comprenez, que Dieu a fait le monde en jouant. C’est une idée très intéressante qui parcourt toute la philosophie et qui commence très tôt, mais l’important est de savoir quel est le mode de jeu. L’idée pourrait signifier, et ce n’est même pas une idée tant qu’on n’a pas dit de quel jeu il s’agissait. On l’a vu trop brièvement parce que on est dans une reprise d’une autre étude, qu’il faudrait étudier de très, très près ce que Leibniz présente comme "le jeu de Dieu" [52 :00] quand il crée le monde, et le peu qu’on a vu, c’était extrêmement complexe ; que c’est un type de jeu qui n’est pas du tout le même que le jeu d’Héraclite ou que le jeu de Mallarmé, et que c’est un type de jeu très, très spécial. [Deleuze regarde le dessein de RP au tableau] Là, ce qui est intéressant, c’est que le jeu de l’harmoniseur, c’est un type de jeu, je ne veux pas dire du tout que c’est celui de Leibniz, mais qui est de la même famille, tout à fait de la même famille.
Ecoutez, je souhaite que ça se termine comme ça. Ce que je voudrais vous dire, c’est deux choses. La semaine prochaine, comme je l’ai déjà dit, mais j’y tiens parce que sinon, il y aura pleins d’entre vous… écoutez-moi bien : mardi prochain je reviens mais uniquement pour voir les premier cycles, deuxième cycles, troisième cycles [53 :00] en fonction de leurs travaux personnels et qui ont des problèmes et des choses à me faire signer. Donc je serai à leur disposition mardi ; ça, ne l’oubliez pas. Et on règle mardi tous les problèmes des premier, deuxième et troisième cycles. Alors, faites-le, venez ; sinon, j’ai dit que vous pouvez me téléphoner si vous avez un problème en urgence. C’est très important que votre situation administrative soit au point. Donc, on se donne rendez-vous mardi prochain vers 10 heures, à cet égard.
Sinon, l’autre chose, elle est très simple. Je trouve que l’année que nous avons faite a été encore une année riche, et je dis, sans aucunement flatterie de votre part, cela a été en grande partie grâce à vous. [54 :00] Et enfin, je remercie très, très vivement ceux qui sont intervenus dans cette histoire de musique. Donc, j’aime bien qu’elle nous laisse avec des impressions confuses. Mais je crois que, en tout cas pour moi, elle me donne des points de départ de travail que je n’aurais pas eus sans cette séance. Voilà, merci beaucoup.