Les cours
-
Sur Rousseau
-
Anti-Œdipe et Mille Plateaux
-
Sur Kant
-
Appareils d'État et machines de guerre
-
Sur Leibniz
-
Anti-Œdipe et autres réflexions
-
Sur Spinoza
-
Sur la peinture
-
Cours sur le cinéma
-
Sur le cinéma : L'image-mouvement et l'image-temps
-
Sur le cinéma : Classifications des signes et du temps
-
Vérité et temps, le faussaire
-
Sur le cinéma : L'image-pensée
-
Sur Foucault : Les formations historiques
-
Sur Foucault : Le pouvoir
-
Sur Leibniz : Leibniz et le baroque
-
Sur Leibniz : Les principes et la liberté
Écouter Gilles Deleuze
Sur Foucault le pouvoir
Assez dispersé.. Je commence par, activité délicieuse, une autocritique. Parce que j’étais vraiment mécontent de la seconde partie de notre séance précédente. Alors qu’est-ce qui a fait tout d’un coup que ça n’allait plus ? Evidemment, c’était pas votre faute, c’était la mienne. Remarquez, c’est le charme des cours ; on croit tenir très bien quelque chose et puis ça ne passe pas, ça se défait. Tous ceux qui font des cours ont dû avoir cette expérience. Parfois, heureusement, c’est l’inverse. On croit ne pas tenir quelque chose et ça passe et ça se forme à mesure qu’on parle. C’est curieux, ça ; mais enfin, moi, j’étais plutôt..., dans notre seconde partie de la dernière fois, j’étais plutôt sur la versant inverse.
Je croyais bien tenir et puis : rien du tout. Ça déraillait, ça déraillait. Alors je me suis dit : pourquoi ? Quand même, pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé, dans cette seconde moitié ? La première moitié, pour moi, allait. Là aussi le charme des cours - je vous le signale mais vous le savez tous - c’est que celui qui fait un cours n’a pas tout à fait le même point de vue que celui qui l’écoute. Au point que, dans la mesure où je fais un cours, ce qui est moment fort pour moi, pour beaucoup d’entre vous, peut très bien être, au contraire, un moment faible et inversement, ce qui sera moment fort pour vous, pour moi ce sera...
Je crois que c’est ça qui rend l’activité du cours intéressante et pas du tout du même type qu’un livre et lire un livre. Mais, enfin, bon, je me disais : qu’est-ce qui s’est passé pour que je déraille comme ça et que je ne tienne plus mon fil ? Et je me suis dit que j’avais peut-être tenté..., que c’était peut-être ça qui m’avait perdu, j’avais tenté de systématiser quelque chose que Foucault n’avait pas voulu systématiser. Et que donc j’avais énormément durci les positions qui..., pour des raisons que je vais essayer de chercher, des positions qui étaient, chez Foucault, toutes en souplesse, toutes en évocation et que moi j’avais trop voulu en faire des concepts, des concepts très assignables et que, à ce moment-là, ça avait été un durcissement qui avait fait que je ne pouvais plus couvrir l’ensemble des textes auxquels je pensais. C’est-à-dire que, c’est pas d’avoir systématisé qui était mauvais, c’est d’avoir systématisé au moment où il ne fallait pas, sur les points où il ne fallait pas.
D’où, cette fois-ci, un certain nombre de choses tenaient dans ce que j’ai dit, il me semble, la dernière fois, enfin pour moi, ce sera à vous, après, de dire votre avis... Un certain nombre de choses tenaient et d’autres ne tenaient pas. Donc, là, je suis forcé de reprendre parce qu’on ne peut pas rester sur une telle bouillie comme celle de la dernière fois. Je suis forcé de reprendre en essayant de..., de mieux marquer là où on peut systématiser, là où, au contraire, il faut laisser des espèces de courants très fluides. C’est si fluide, même - à cet égard, pas toujours, mais sur le point où on en est - la pensée de Foucault est parfois si fluide, que, dans mon commentaire, j’ai parfois l’air de contredire la lettre même de Foucault. Par exemple Foucault parle de temps en temps de l’infini de la vie. Moi j’insiste au contraire beaucoup sur ceci que, dans la pensée de Foucault, la vie est une force de finitude. Je ne crois pas que ce soit grave, par exemple quand il parle de l’infini de la vie, c’est dans une phrase qui implique que, en vertu du contexte, on peut en un certain sens parler de l’infini de la vie, mais ça n’empêche pas que, dans sa force la plus fondamentale, la vie est finie, il y a une finitude de la vie.
C’est donc tout ça qu’il faut, là où il y a simple expression souple, là où au contraire quand l’expression devient très catégorique, c’est tout ça qu’il faut, il me semble, distinguer. Et, la dernière fois, je ne me suis pas donné les moyens d’opérer cette distinction. Donc, encore une fois, la nécessité de reprendre certains points et d’être, ouais... Or il y a une chose qui subsiste dans ce qu’on a fait la dernière fois. Ce qui subsiste c’est le problème général « rapport des forces aux formes ».
Et ce rapport se présente de la manière suivante : les forces sont toujours un complexe, c’est-à-dire un ensemble de rapports de forces avec la force. Il y a toujours un rapport de forces au pluriel.
D’où notre première question, c’est : une formation historique étant donnée, les forces dans l’homme - ça je me suis expliqué là-dessus la dernière fois, ça vaut - les forces dans l’homme entrent nécessairement en rapport avec des forces du dehors. Quelles forces ? Voyez : dans toute formation historique assignable, les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces venues du dehors. Mais, suivant la formation, elles n’entrent pas en rapport avec les mêmes forces. Donc les forces de l’homme entreront en rapport tantôt avec telles forces, tantôt avec telles autres forces venues du dehors. Si bien que, pour chaque formation historique, j’ai comme première question : avec quelles forces venues du dehors les forces "dans" l’homme - je dis bien « les forces dans l’homme » et pas les « forces de l’homme » - les forces dans l’homme entrent- elles en rapport ?
Deuxième question : une fois donné ce rapport de forces, quelle forme en découle ? Quelle forme en découle ? Dans certains cas, ce peut être la forme homme. Je dirais, à ce moment-là, que la forme « homme » découle du rapport des forces dans l’homme avec d’autres forces venues du dehors, pas n’importes lesquelles. Ce qui implique que, dans d’autres cas, c’est-à-dire sur d’autres formations, les forces dans l’homme entrent en rapport avec d’autres forces venues du dehors, mais le composé est une forme qui n’est pas celle de l’homme, qui n’est pas l’homme.
D’où, vous comprenez, d’après une telle méthode, il va de soi que la forme « homme » n’a pas toujours existé et n’existera pas toujours. La forme « homme » c’est le composé des forces dans l’homme avec des forces venues du dehors sur une certaine formation historique. Mais, sur d’autres formations historiques, la forme composée ne sera pas l’homme, ce sera autre chose. Et on en faisait l’expérience et, là, je résume, parce que ça tenait encore, on en faisait l’expérience déjà quand on se donnait la formation classique. La formation classique, à l’âge classique, considère des forces dans l’homme, mais ces forces dans l’homme entrent en rapport avec quelles autres forces venues du dehors ? Je disais : elles entrent en rapport avec toutes les forces d’élévation à l’infini. Qu’est-ce que c’est que ça, une « force d’élévation à l’infini » ?
Concrètement ça veut dire quoi ? Peu importe où est cette force. Je dirais : peut-être c’est la force de la représentation. Et ce serait peut-être une définition possible de la représentation que de dire : représenter c’est se donner la possibilité d’élever à l’infini. Ce sera ça, la représentation. Au moins ce serait une définition, c’est difficile de définir la représentation. Il faut voir si ce ne serait pas une définition possible, une définition valable : se représenter c’est élever quelque chose à l’infini, ou saisir quelque chose que, dès lors, on se représente comme élevable à l’infini. Il n’y a pas une seule force d’élévation à l’infini, pourquoi ? Parce qu’il y a des ordres d’infini. On l’a vu la dernière fois, il y a un infini par soi-même, par exemple, qui ne peut pas être confondu avec quelque chose qui est seulement infini par sa cause. Il y a un infiniment grand, mais il y a aussi un infiniment petit, il y a des ordres d’infinitude. Ces ordres d’infinitude ne sont pas quelconques, ils sont hiérarchisés.
Pourquoi ? Puisqu’ils tendent vers l’infini le plus parfait, c’est-à-dire l’infini par soi-même. Et je disais : si vous essayez de définir la pensée du XVIIème siècle, il me semble que c’est ça. La pensée du XVIIème siècle, c’est une pensée qui fondamentalement pense l’infini et les ordres d’infini. Et le problème de l’homme au XVIIème siècle, c’est : l’homme est perdu dans les ordres d’infini. Ça éclatera avec Pascal. Et je vous disais : là, et en effet on va voir que dans la méthode de Foucault, c’est très important de rompre les fausses lignées... quelle que soit la grandeur de Pascal pour nous aujourd’hui, il n’y a aucune raison de faire de Pascal à certains auteurs contemporains, une lignée qui serait illégitime. L’angoisse pascalienne est une angoisse en rapport avec l’infini et les ordres d’infini. Où est l’homme dans tous ces ordres d’infini ? Où trouver une place pour l’homme, si chaque fois qu’on assigne une place, cette place se dérobe au profit d’un infini ? L’homme est décentré pour Pascal parce que, fondamentalement, il est pris dans des ordres d’infini, l’infiniment grand, l’infiniment petit.
Quand je dis : lorsque les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces d’élévation à l’infini, qui sont très différentes les unes des autres, très diverses, mais qui convergent toutes vers Dieu, la forme composée par cet ensemble de forces (forces dans l’homme et forces d’élévation à l’infini) c’est quoi ? Ce n’est pas l’homme, c’est Dieu. La forme composée par cet ensemble de forces, c’est Dieu. D’où l’idée qu’à l’âge classique la forme « homme » n’a strictement aucune place. Pour la simple raison que l’infini est toujours premier par rapport au fini. Elle a si peu de place que les forces dans l’homme ne se composent que pour composer autre chose que l’homme, puisqu’elles-mêmes entrent en rapport avec des forces qui l’élèvent à l’infini. Les forces dans l’homme, c’est l’entendement, la volonté et voilà que les philosophes du XVIIème siècle vont nous dire : oui, mais l’entendement humain est fini, si on l’élève à l’infini pour en dégager à l’infini, une fois dit que la perfection, c’est ce qui est élevable à l’infini, on a l’entendement divin qui, lui, est infini. Et l’entendement humain n’est qu’une limitation, l’entendement humain n’est qu’une limitation de l’entendement divin.
D’où, à tous les niveaux de la pensée du XVIIème siècle, ce sera quoi ? Et c’est peut-être là ce que je n’ai pas su faire la dernière fois, dégager finalement ce qui était le concept essentiel ou ce qui allait se révéler comme le concept essentiel.
Dire que les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces d’élévation à l’infini, c’est dire quoi ? C’est dire que tout ce qui se présente va se développer, va se développer, va se déployer, va se déployer à l’infini et de manière continue. Le savoir du XVIIème siècle va constituer des tableaux. Tableaux dans lesquels vont prendre place..., tableaux continus, dans lesquels chaque chose, chaque être prendra sa place, dans une espèce de déploiement à l’infini. La pensée du XVIIème siècle serait fondamentalement une pensée du dépli, du déploiement, du développement.
D’où : l’analyse des richesses va se développer en une espèce de tableau, le tableau des richesses. L’analyse du vivant va se développer en une espèce de tableau des caractères organiques qui vont former une série continue, la série continue suivant laquelle chaque vivant prend sa place. Et la continuité de la série est un caractère fondamental parce que c’est son ordre d’infini à elle, c’est son ordre d’infinitude à elle. Et j’insiste là-dessus que peut-être, alors, dans toute l’œuvre de Foucault, nous buttons sur un mot que nous rencontrons constamment : l’idée ou l’hypothèse d’un dépli des choses et des êtres.
Déplier, développer. Le dépli c’est un mot qui revient constamment, constamment. Mais, là, au point où nous en sommes, vous voyez comment il s’inscrit dans la pensée du XVIIème siècle. La pensée classique déplie les choses et les êtres suivant des séries continues qui marquent l’ordre d’infinité propre aux créatures. Et on a souvent remarqué que, par exemple, l’histoire naturelle au XVIIème siècle ne se contente pas d’être systématique. Par « système » il faut entendre la répartition des identités et des différences dans le vivant. Qu’est- ce qui est identique ? Qu’est-ce qui est différent etc. ? Mais le système lui-même se développe en série et la série c’est quelque chose de différent qui consiste à ranger les vivants dans un ordre tel que, par petites différences, on passe de l’un à l’autre suivant un ordre de la continuité qui est un ordre de l’infinité de la créature, de l’infinitude de la créature.
Donc le thème que, dès lors, l’analyse des richesses, l’histoire naturelle, l’analyse du discours ou grammaire générale, procèdera par de tels tableaux continus, prolongeables à l’infini. La pensée du XVIIème siècle est une pensée du déploiement et du dépli. On déplie les choses et les êtres et, par-là, en dépliant les choses et les êtres, on forme la série continue des choses et des êtres. Voilà, je ne voudrais pas en dire plus parce que tout ce que j’ai dit la dernière fois à cet égard me paraît valoir et c’est cette notion de dépli qui me paraît fondamentale. Bien. Pourquoi ? On ne sait pas encore pourquoi elle doit être fondamentale. Je constate simplement que, si l’idée du dépli apparaît lorsque Foucault analyse la pensée du XVIIème siècle, est-ce que c’est par hasard que le même mot apparaît dans de toutes autres occurrences et parcourt tout..., toute l’œuvre de Foucault ?
Je passe alors à l’autre formation. Je dirais donc : les forces dans l’homme... La formule de l’âge classique selon Foucault, ce serait : les forces dans l’homme entrent en rapport avec des forces d’infinitude et, dès lors, toutes ensemble elles composent quoi ? Elles composent l’idée de Dieu et non pas la forme « homme ». Vous me direz Mais comment est-ce qu’on peut dire que Dieu est composé ? C’est comme ça que je corrige en disant « l’idée de Dieu ». Dieu sans doute est, comme le rappellent tous les auteurs du XVIIème siècle, Dieu est unité insondable. Mais justement, unité insondable, ça veut dire quoi ? Ça n’empêche pas que son idée soit composée. Qu’est-ce qui compose l’idée de Dieu pour un auteur du XVIIème siècle ? On sait la réponse : toutes les perfections élevables à l’infini. Tout ce qui est élevable à l’infini est rapportable à Dieu.
En d’autres termes Dieu est composé, ou plutôt l’idée de Dieu est composée par toutes les formes, comme ils disent - c’est une expression de Leibniz lui-même - par toutes les formes absolument prises, c’est-à-dire indépendamment de leurs limites. D’où problème pour le XVIIème siècle : c’est intéressant de savoir pourquoi quelque chose était un problème à une époque et, peut-être, ne l’est plus aujourd’hui. Problème pour le XVIIème siècle : est-ce que l’étendue est une propriété, est un attribut de Dieu ? Bon. La réponse, elle est simple. Ça dépend. Nécessairement ça dépend. Si vous pouvez extraire de l’étendue quelque chose d’infini, alors, oui, l’étendue est un attribut de Dieu. Si vous ne pouvez pas, c’est-à-dire si l’étendue est inséparable de sa limitation, si l’étendue ne jouit que d’ordres d’infinité inférieurs, par exemple l’indéfini, si elle ne jouit que d’ordres d’infinité inférieurs, elle ne peut pas être infinie par soi-même et, dès lors, elle n’est pas attribuable à Dieu. Si bien que ce serait stupide de dire : au XVIIème siècle certains auteurs attribuent l’étendue à Dieu et d’autres refusent d’attribuer l’étendue à Dieu. Ce qu’il faut dire c’est que, au XVIIème siècle, tous les auteurs qui pensent qu’il y a dans l’étendue quelque chose d’infini à proprement parler l’attribuent à Dieu, tous ceux qui pensent que l’étendue est inséparable de sa propre limitation, refusent l’attribution à Dieu. Descartes refusera l’attribution à Dieu, mais Malebranche et Spinoza, de deux manières très différentes, qui découvrent dans l’étendue quelque chose d’infini par soi, c’est-à-dire un infini du premier ordre, l’attribuent nécessairement à Dieu. A ce moment-là il s’agit d’une étendue indivisible, infinie, qui, dès lors, fait partie des attributs de Dieu. Voilà. Qu’est-ce qui se passe ? Vous m’interrompez, hein, s’il y a quelque chose qui ne va pas... une chose qui ne va pas ?
Question : (inaudible)
G.D. : quoi ?
Question : (inaudible) on peut avoir aussi une forme qui est la forme de l’homme ?
G.D. : Pas dans ce cas-là, dans une autre formation. Et avec d’autres forces.
Question : ? quand on pense la force dans l’homme on doit aussi penser une forme de l’homme...
G.D. : non
Etudiant : ...c’est ça que je ne comprends pas
G.D. : non, non. Sinon tout serait perdu. On a vu...
Etudiant : (inaudible)
G.D. : Eh non ! On ne présuppose pas ! Si, on présuppose, parce que tout est mélangé, bien sûr on peut supposer... mais c’est pas ça ce qui compte. Ce qui compte c’est la différence de nature entre le niveau des forces et le niveau des formes. Et ça, depuis le début, on l’a vu. Les forces elles sont informelles. Alors quand je dis « les forces dans l’homme », ça a l’air de présupposer la forme « homme ». Non ! Je ne présuppose rien de la forme « homme », je considère juste des forces qui, en tant que telles, sont dites humaines. « sont dites humaines », vous me direz, ça suppose... Parce qu’elles ne sont pas dans les animaux. Elles sont, bon..., elles sont comme à tel endroit de l’espace des forces, par exemple je dis : l’entendement, la volonté. Je ne présuppose rien d’une forme de l’homme, je prends l’entendement comme une force, je dis « c’est une force dans l’homme ». Le fait est que les animaux... bon, bon. Je prends, si vous voulez, je peux considérer l’homme comme..., à ce moment-là si vous me dites « ça présuppose l’homme », non ! Je définis l’homme comme un type de forces et uniquement un type de forces et je demande : ces forces, par exemple entendement et volonté, que j’appelle forces dans l’homme ou forces humaines, parce qu’elles ne se présentent pas chez les animaux, parce qu’elles se distinguent, elles occupent dans le champ de forces, une certaine région, je dis : avec quelles autres forces est-ce qu’elles entrent en rapport ? Au XVIIème siècle, avec les forces d’élévation à l’infini, d’où : l’entendement ne sera qu’une limitation de l’entendement infini. Et, à ce moment-là, le composé, c’est pas l’homme, c’est Dieu. Vous voyez : forces dans l’homme + forces d’élévation à l’infini donnent comme composé la forme Dieu, la forme composée Dieu. Et si on me dit, là aussi, Dieu n’est pas composé. Je dis : oui, Dieu n’est pas composé, mais sa forme est composée, c’est-à-dire sa représentation est composée. Si je résumais tout, je dirais : le XVIIème siècle, c’est l’âge de la représentation.
Passons à la formation, donc, suivante. XIXème siècle : qu’est-ce qui se passe ? Quelle mutations, puisqu’on a vu que tout rapport de forces impliquait une espèce de diagramme ? Le diagramme, c’est l’énoncé des rapports de forces, ça n’engage encore aucune forme. Il y a eu mutation du diagramme. Le diagramme de la pensée classique c’est, encore une fois, force dans l’homme qui étreignent les forces d’élévation à l’infini. Dans la formation XIXème, qu’est-ce qui se passe ? Les forces dans l’homme vont se heurter et étreindre des forces de finitude. Qu’est-ce que c’est que ces forces de finitude ?
Selon Foucault, elles sont triples : la vie, le langage, le travail.
Vous me direz : mais la vie, le travail, le langage, ça existait au XVIIème siècle... C’est pas ça la question. Ça existait, oui, mais le travail était dissous dans la série des richesses, dans le tableau des richesses. La vie était comme développée, dépliée, dans la série continue de l’histoire naturelle. C’est ça qui compte. Vous sentez tout de suite où je veux en venir. C’est que, là, on va se trouver devant le phénomène inverse, la catégorie inverse. Toute la pensée du XIXème va être une pensée du fini, du repli. Les forces dans l’homme se replient sur les forces de finitude. Elles se rabattent sur les forces de finitude. Il se produit une pliure, un plissement. Les forces dans l’homme se replient autour des forces de finitude. Elles se replient, elles se rabattent sur les forces de finitude. Si j’insiste là-dessus c’est que, non moins fréquent que le mot « dépli » chez Foucault, vous trouvez, dans toute son œuvre, « pli », « pliure », « pliage ». C’est un autre pôle.
Mais, sans doute, comme c’est constant dans tous ses livres, c’est la base de toutes ses métaphores. Je crois : les métaphores de Foucault ont comme... ont vraiment comme matrices le dépli et le pli. Pourquoi est-ce que ça m’importe ? Pour des raisons qu’on ne peut pas comprendre encore maintenant. Car vous sentez bien que ce sera là un moment nécessaire d’une confrontation à venir quand on se demandera : quels sont les rapports au juste Foucault - Heidegger ? Car il y a longtemps que la pensée heideggérienne a été présentée comme une pensée du pli. Et qu’est-ce que l’être selon Heidegger ? Ben, l’être c’est précisément le pli. C’est le pli de l’être et de l’étant. L’être est indissociable, inséparable du pli qu’il forme avec l’étant. Qu’est- ce que c’est que ça ? Chez Heidegger, c’est fondamentalement lié à la découverte d’une finitude constituante. Donc c’est ici qu’on a pour la première fois l’occasion de marquer l’importance chez Foucault de ces termes « pli » et « dépli » et, sans doute, de pressentir que leur enracinement chez Foucault, est très différent au point de départ de ce qui se passe chez Heidegger. Mais c’est là que, petit à petit, on sera amené à procéder à une confrontation. Mais c’est pas notre objet pour le moment. Vous voyez : je m’en tiens à ceci : la pensée du XIXème siècle serait caractérisée par ceci : c’est que, au lieu que les forces humaines, les forces dans l’homme, se déplient en tant qu’elles entrent en rapport avec des forces d’élévation à l’infini, là, au contraire, les forces dans l’homme se plient, se replient, se rabattent en tant qu’elles entrent en rapport avec des forces de finitude : vie, travail, langage. La triple racine de la finitude, la force de l’homme entoure comme une hélice, entoure cette triple racine de la finitude.
Or, c’est..., c’est là que, la dernière fois, j’insistais, et, là, c’était encore bon. Je veux dire : ça allait encore. J’insistais dès lors sur l’importance de bien considérer que, pour Foucault, les forces de finitude, la vie, le travail, le langage, se présentent comme extérieures à l’homme. De même que la force d’élévation à l’infini n’était pas une force dans l’homme, mais était extérieure à l’homme, de même les forces de finitude, la vie, le langage, le travail, sont extérieures à l’homme. Il s’impose à l’homme du dehors sur telle formation. Le travail c’est la peine et le temps ; c’est une force imposée à l’homme. Le langage c’est une force involontaire, une force imposée à l’homme. Pour la vie, ça va de soi.
Donc, je disais : c’est ça la nouveauté de Foucault, au niveau de cette formation du XIXème, car vous trouvez un peu partout - et ça préexiste à Foucault - l’idée que, en effet, la révolution du XIXème siècle, la révolution de pensée du XIXème siècle, c’est quoi ? Encore une fois : avoir substitué à l’infini l’idée d’une finitude constituante. Ce n’est pas l’infini qui est originaire, c’est la finitude qui est constituante. Je vous disais : c’est la révolution kantienne. L’entendement humain n’est pas une simple limitation d’un entendement divin qui serait originaire ; l’entendement humain, en tant que fini, est constituant. Donc je peux dire que, suivant un schéma classique, on définit la révolution du XIXème par la substitution à l’infini originaire, d’une finitude constituante.
Pourquoi Foucault ne s’en tient-il pas à ce schéma et pourquoi est-ce qu’il le renouvelle ? Ben moi j’ai l’impression que ce schéma classique, « substitution de la finitude constituante à l’infini originaire », il est très intéressant, mais il nous laisse dans le vague sur : qu’est-ce qui a entraîné à tel moment cette révolution ? Pourquoi est-ce que, tout d’un coup, l’homme prend conscience, non pas de sa finitude - ça il en avait toujours conscience, même au XVIIème siècle, c’était même son angoisse et son malheur - mais pourquoi est-ce que l’homme prend tout d’un coup conscience que sa finitude est constituante ? C’est-à-dire qu’elle n’est pas la limitation d’un entendement divin, mais qu’elle est, au contraire, le fondement du monde habité par l’homme et de la connaissance effectuée par l’homme. Je crois que la raison, elle est..., elle est très simple. C’est précisément celle que Foucault indique. Mais, si vous comprenez bien, c’est pour ça qu’il fallait à tout prix, c’est pour ça qu’il était nécessaire de bien montrer que les forces de finitude n’étaient pas dans l’homme, mais que l’homme les rencontrait comme des forces venues du dehors.
C’est parce que l’homme se heurte, à la fin de l’âge classique, à des forces de finitude, c’est-à-dire découvre la vie, le travail, le langage, c’est parce qu’il se heurte à ces forces extérieures, qu’il va prend conscience de "sa" propre finitude à lui, homme.
Donc ce que le schéma classique laissait sans explication, Foucault donne une explication par..., dans la mesure où il distingue deux moments. Les deux moments, c’est quoi, encore une fois ? Les deux moments c’est : premier moment, les forces dans l’homme se heurtent à la triple racine de la finitude, c’est-à-dire aux forces de finitude extérieures, vie, travail, langage ; deuxième moment : l’homme fait sienne cette finitude.
Vous voyez qu’il était très important pour Foucault de distinguer deux moments dans l’analyse de la formation XIXème siècle, pour expliquer pourquoi, à ce moment-là, la finitude de l’homme devient constituante. Ce qui revient à dire, en effet : lorsque l’homme, lorsque les forces dans l’homme, lorsque les forces dans l’homme rencontrent comme forces extérieures, comme forces venues du dehors, des forces de finitude, et non plus d’élévation à l’infini, alors, et alors seulement, la forme composée c’est l’homme. C’est plus Dieu, c’est l’homme. Les forces dans l’homme se heurtent aux forces de finitude : le composé qui correspond à cette nouvelle combinaison, à ce nouveau diagramme, c’est la forme « homme ». J’ai le sentiment que c’est difficile. Je ne sais pas si c’est difficile. C’est la dernière fois qu’on a à faire des choses abstraites. Après, c’est, c’est... Donc c’est pour vous convier à un dernier effort.
Sur un exemple privilégié, je voudrais vérifier cette histoire du dépli et du pli. Naissance de la clinique, si j’avais à résumer..., je tiens surtout à ne pas vous épargner la lecture, hein ; donc je résume juste. Qu’est-ce que ce serait le résumé du livre de Foucault Naissance de la clinique ? La distinction de deux formations : la clinique, qui correspond à l’âge classique, et l’anatomie pathologique, qui correspond au XIXème. Comment définir la clinique ? C’est la constitution, au niveau des maladies, qui sont traitées comme des espèces, la constitution d’un tableau, d’un tableau continu qui met en place la série des signes et des symptômes. Dépliement, déploiement d’un tableau des signes et des symptômes à la surface du corps. Et le thème de la surface du corps est fondamental dans toute la clinique. Il faut que les maladies, là, se déclarent à la surface du corps, prises dans un tableau qui va marquer la continuité des signes et des symptômes. La clinique est fondamentalement le dépli, le dépli des maladies.
Et voilà que, au XIXème siècle, qu’est-ce qui se passe ? Il y a découverte des tissus, la notion de tissu domine, va être la grande notion sur laquelle va se fonder l’anatomie pathologique qui va remplacer la clinique. Et l’anatomie pathologique donne ou redonne une profondeur au corps, grâce à quoi ? Grâce au plissement des tissus, le tissu c’est ce qui se plie. A la limite, c’est presque la naissance d’un espace topologique en médecine. Les tissus se plient et les pliements, les pliages des tissus redonnent une profondeur au corps et, à la maladie, un volume. Et Foucault y voit deux moments très différents du regard médical. Le regard en surface de la clinique qui constitue ses tableaux, le regard en profondeur de l’anatomiste pathologiste, qui suit les pliements de tissus de telle manière qu’il fouille la profondeur du corps. Comme dit Foucault, qu’est-ce que vous voulez faire de l’autopsie ? C’est pas qu’on connaît pas l’autopsie, on la connaît, elle existe depuis tellement longtemps, l’autopsie, mais qu’elle soit dévalorisée, qu’elle soit secondarisée, ça va de soi, du point de vue de la clinique. Elle reprend toute sa force et va conquérir de nouveaux pouvoirs avec l’anatomie pathologique. Fouiller la profondeur du corps : encore fallait-il qu’il y ait des tissus capables de se plier et, dès lors, de se déplier bien sûr. Là, dans Naissance de la clinique, je remarque aussi que la grande majorité du livre est constituée sur des métaphores, non seulement des métaphores, mais sur des métaphores et des concepts de pli et de dépli. La pensée du dépli caractérisant la formation du XVIIème siècle et la pensée du pli caractérisant la formation XIXème. Bien.
Alors, donc, il y a deux moments nécessaires dans la formation XIXème. La rencontre, mais terrible, la terrible rencontre de l’homme avec les forces de finitude : premier moment. Deuxième moment : la manière dont l’homme s’approprie ces forces de finitude et s’érige lui-même en finitude constituante. J’insiste sur ceci alors que le schéma traditionnel nous disait seulement : la finitude constituante remplace l’infini. Foucault transforme en distinguant les deux moments et je crois que cette transformations est très importante, on va voir les conséquences. Bon est-ce que ce second point va ? Ça va ? Bien.
Alors on va voir un peu lorsque les forces dans l’homme s’enroulent autour des forces de finitude, lorsqu’elles se rabattent sur les forces de finitude vie, langage etc. Qu’est-ce qui se passe ? Je veux dire : mettons en rapport quels troubles ça introduit dans la pensée du XVIIème. Pourquoi est-ce que la pensée du XVIIème, dans sa spécificité, ne peut pas survivre, ne peut pas survivre à cette épreuve ? On va voir, là, quitte même à ce que je laisse Foucault sur certains points, c’est-à-dire je me serve d’auteurs qu’il ne cite pas, bien que je sois très sûr que, et c’est évident, qu’il les connaisse très bien euh. Mais il ne dit pas tout ce qu’il sait.
Donc j’essaierai de faire intervenir parfois des auteurs, euh... tout ça pour justement que ça vous empêche pas la lecture... je ne prétends pas donner un résumé. Je dis juste ceci : on va voir sur trois points. Le XIXème siècle va être la naissance de la biologie, force finie de la vie, découverte de la force finie de la vie, de l’économie politique, découverte de la force finie du travail, et de la philologie, découverte de la force finie du langage. Le thème explicite de Foucault c’est qu’au XVIIème siècle, il ne pouvait pas y avoir de biologie, il ne pouvait y avoir qu’une histoire naturelle, il ne pouvait pas y avoir d’économie politique, il ne pouvait y avoir qu’une analyse des richesse et il ne pouvait pas y avoir de philologie, il n’y avait et il ne pouvait y avoir qu’une grammaire générale. Au point où on en est, ça, vous pouvez le comprendre. Si j’appelle biologie, en effet, la science qui se fonde sur la finitude de la vie, je crois que c’est une définition correcte ; Si j’appelle économie politique la science qui se fonde sur la finitude du travail ; tout ça ne pouvait pas apparaître au XVIIème siècle qui, lui, au contraire, développait, dépliait des tableaux à l’infini : tableau des richesses, tableau des caractères organiques etc. Il y avait place pour l’histoire naturelle, il n’y avait pas place pour la biologie.
Ben, essayons de repérer, dans la naissance de la biologie, les deux moments. C’est autour... Le premier moment, c’est autour de Jussieu, célèbre spécialiste des plantes, et d’autres... Bon. Qu’est-ce qui se passe ? D’une certaine manière ils pensent encore en termes du XVIIème, à savoir la série des plantes, la grande série continue des plantes ou même la grande série animale où l’on passera d’espèce à une autre espèce, de genre à un autre genre, de classe à une autre classe etc. par transition continue. Tableau des êtres vivants développable à l’infini. Question immédiate : qu’est-ce qui les empêche, au XVIIème siècle, d’être évolutionnistes, c’est-à-dire affirmer qu’il y a une histoire qui nous fait passer d’un terme de la série au terme suivant ? Comprenez qu’il faut même renverser la question : ça ne se pose même pas. C’est la série elle-même qui les empêche d’être évolutionnistes. Il n’y a pas d’histoire du vivant, il y a une histoire naturelle, il y a une histoire de la nature. L’histoire de la nature, elle consiste en quoi ?
Ben elle consiste dans le développement d’une série où chaque élément, chaque terme de la série a sa place et chaque place a un terme. L’idée même qu’un terme puisse passer dans un autre est une idée strictement dénuée de sens du point de vue de la série. Le développement des êtres vivants en série continue exclut toute histoire par laquelle un vivant évoluerait ou une espèce se changerait en une autre espèce. La série c’est l’ordre des places de chaque espèce dans la continuité, dans la continuité de la nature ; il n’y a aucune place pour une histoire, c’est le point de vue sériel qui exclut l’histoire.
Or, autour de Jussieu, qu’est-ce qui se passe ? On attache de plus en plus d’importance... C’est pas que c’était pas connu avant, c’était déjà connu chez Linné, représentant de l’histoire naturelle classique, hein, mais on attache de plus en plus d’importance à deux faits : que les caractères organiques, dans une même espèce..., que les caractères organiques sont coordonnés les uns aux autres dans une espèce et qu’ils sont hiérarchisés, c’est-à-dire qu’il y a un caractère, par exemple dans une espèce, plus important que les autres et qui, d’une certaine façon, détermine les autres. Par exemple... et on fait intervenir à ce moment-là le point de vue des fonctions. Ce qui est le plus important dans les plantes, c’est la fonction de reproduction. La fonction de reproduction s’exprimera dans le caractère organique cotylédon ou absence de cotylédon ou deux cotylédons. Bien. On peut mettre ça en série, mais ce caractère, étant plus important que les autres, va déterminer d’autres caractères qui lui sont corrélatifs. Il y aura à la fois corrélation de caractères, au niveau d’une espèce, et primat d’un caractère sur les autres. Corrélation et hiérarchie. Pour l’animal, certains pensent que ce qui est essentiel, le caractère dominant, c’est la fonction alimentaire. Si la fonction alimentaire est dominante, les dents vont être un caractère principal, mais n’importe quel caractère ne peut pas se lier à n’importe quel autre. Un type de dents entraînera un type de muscles, un type d’estomac, un type d’intestin. Il y a donc à la fois coordination et subordination des caractères, coordination et subordination des caractères au niveau des espèces. Comprenez : à mesure que ce point - qui était déjà connu, encore une fois, dans la série du XVIIème, mais à mesure que ce point passe au premier plan, la série est fracturée. La série est fracturée, c’est-à-dire tout se passe comme si les termes de la série étaient, là je pèse mes mots, étaient attirés par une profondeur, et la série se trouve vraiment, là, fracturée à chaque fois. Vous n’avez plus ou vous tendez à ne plus avoir une série de caractères en continuité les uns avec les autres et sans évolution, chaque être ayant une place et chaque place ayant un être bien fixe, pas d’histoire ; là, au contraire, les caractères, dans une espèce, se coordonnant et se hiérarchisant, forment une espèce de poids qui va fracturer la série et entraîner comme chaque vivant - mais qu’est-ce que signifie « chaque vivant » ? - dans une profondeur qui n’est plus sériale. Si je faisais un dessin, mais, vous voyez... ah je ferais ma série, là, comme ça, et puis à chaque moment où vous faites valoir la coordination et la subordination des caractères, ça fait comme une espèce de rebond, là, qui va comme fracturer la série, faire descendre en profondeur le vivant, c’est-à-dire qui va révéler ce qui va apparaître comme une nouvelle dimension.
Si bien que, en un sens, l’idée d’une continuité développable en série est fondamentalement menacée dans ce premier moment. A la série de surface, s’oppose ou commence à s’opposer une toute autre approximation du vivant où le vivant quitte la surface et s’enfonce, s’enfonce, suivant quoi ? suivant son poids de caractères coordonnés et hiérarchisés, il va échapper à la série. ? C’est le mot qu’emploie Foucault : "Jussieu fracture la série". Avec un paradoxe qui est très important, il y aura tous les efforts pour sauver la série continue. Alors, en effet, à l’époque de Jussieu et Jussieu encore imagine des séries ramifiées. La série ramifiée, c’est... avec des discontinuités, avec des rameaux. Donc la série se complique infiniment. Ou bien, alors, une manière prodigieuse de tenter de sauver la série, ce sera quoi ? Y injecter de l’histoire. Vous voyez, c’est ça qui est très important dans l’analyse de Foucault parce que ça concerne sa méthode. Toute sa méthode d’analyse et notamment sa méthode concernant les énoncés, on le verra plus tard, on va le voir tout à l’heure. La série répugnait fondamentalement à l’histoire. Encore une fois chaque être y avait sa place fixe, chaque place était pour un être déterminé et il n’y avait pas de passage de l’un à l’autre. Mais quand la série connaît ces fractures, bizarrement un moyen pour essayer de sauver la série ça va être d’y injecter de l’histoire, sous quelle forme ? En découvrant une force de vie qui se définirait comment ? Comme une tendance à une composition de plus en plus différenciée, tendance de la vie à composer des organismes de plus en plus différenciés, c’est-à-dire des organismes dans lesquels les caractères présentent un maximum de corrélations et de subordinations.
Force organisatrice de la vie qui va parcourir la série pour produire des organismes de plus en plus complexes, c’est-à-dire aux caractères coordonnés et subordonnés, et c’est quoi ça ? C’est Lamarck. Je vais très vite, parce qu’il ne s’agit pas pour moi du tout de résumer la pensée de Lamarck, ce qui m’intéresse c’est la manière dont Foucault situe Lamarck. Comprenez qu’il situe Lamarck et la première apparition réelle, enfin la première apparition incontestable d’un évolutionnisme, il le situe comme :" Lamarck pense encore le vivant sous les espèces du développement en série - en ce sens c’est un homme qui appartient encore au XVIIème siècle, à l’âge classique - et, devant les dangers, devant les menaces qui pèsent à son époque sur l’idée de série, il sauve la série en faisant de la vie une force historique, en définissant la vie comme une force organisatrice qui ne cesse de produire des organismes de plus en plus différenciés ramassant, chacun à sa place, un maximum de caractères coordonnés et subordonnés. Si bien que c’est très curieux oui, d’un certain côté - et il faut dire ça de tous les penseurs - d’un certain côté ils appartiennent à un âge, d’un autre côté ils appartiennent à un autre âge. Lamarck appartient pleinement à l’histoire naturelle et, pourtant, il introduit dans l’histoire naturelle ce à quoi celle-ci répugnait le plus, à savoir un processus historique.
Mais pourquoi introduit-il ce processus historique ? Pour sauver la série, si bien que Foucault, là, excelle, c’est constant chez lui, excelle dans le résultat suivant et ça fait partie de sa théorie des énoncés, vous sentez déjà : pas question d’établir une lignée de Lamarck à Darwin. Ils n’appartiennent pas à la même formation. Je dis que ça appartient à sa conception de l’énoncé, parce que des énoncés apparemment semblables appartiennent en fait à des familles complètement différentes. On va voir en effet que Darwin c’est..., c’est un autre sol, comme dirait Foucault, un autre sol archéologique. Le lamarckisme ne peut se comprendre que sur le sol de la série continue. Or ce sol de la série continue, il vient tout droit du XVIIème siècle et le lamarckisme, tout comme, d’une autre manière, Jussieu, exprime simplement les troubles que cette série continue éprouve dans un premier moment. Donc, si je résume le premier moment au niveau de la biologie, je dirai : eh ben oui, la série tend à se fracturer au profit d’une profondeur sur laquelle le vivant va se replier, se rabattre.
Si je fais un schéma tout simple : voilà ma série continue (il écrit au tableau) qui excluait l’histoire puisque chaque être de la série était fixe et puis, là, à mesure que prend de plus en plus d’importance la coordination et la subordination des caractères au niveau d’un terme, au niveau d’une espèce, la série va être fracturée, c’est-à-dire il va y avoir comme une réorganisation en profondeur, découverte d’une profondeur et la vie n’est plus cherchée dans le mouvement qui parcourt la série continue, elle est cherchée en profondeur dans le mouvement par lequel le vivant se replie, se rabat dans cette profondeur, sur cette profondeur.
En d’autres termes ce que le premier moment introduit c’est quoi ? C’est le concept fondamental d’organisation. L’organisation étant la corrélation et la subordination des caractères. Ça c’est le premier moment.
Deuxième moment : le grand Cuvier. Le grand Cuvier. Le grand Cuvier qu’est-ce qu’il fait, lui ? A première vue, ça n’a l’air de rien. Substituer à « organisation » « plan d’organisation ». Plan d’organisation. L’acte fondamental de Cuvier, c’est-à-dire l’énoncé de base dont, peut-être, tout le reste dans Cuvier dépend, c’est l’idée qu’il y a des plans d’organisation de la vie. Qu’est-ce que c’est un plan d’organisation ? C’est le second moment. On ne découvre plus des centres d’organisation qui menacent la série, on découvre des plans d’organisation qui font qu’il n’y a plus de série, que toute série est impossible. Cuvier découvre ce qu’il appelle des embranchements, les grands embranchements de la vie. A première vue on pourrait se dire : bon et ben il recule toujours vers une généralité croissante. C’est-à-dire, au-delà de l’espèce, il y a des genres, au-delà des genres il y a des classes, etc.
Eh ben, lui, il va encore plus haut, il marque des embranchements. Pas du tout. Ce serait un contresens, car l’embranchement est un concept d’une tout autre nature, c’est un concept qui n’est pas du tout sur la même ligne que les autres, puisque, au contraire, il va rendre inutile les classifications, il va mettre en question la classification. Qu’est-ce que c’est l’idée de l’embranchement ? C’est l’idée que la vie est inséparable de plans d’organisation exclusifs les uns des autres. C’est important ça, pourquoi ? Ça consiste à dire que la vie n’est pas seulement une force organisatrice, comme Lamarck disait, une force d’organisation, c’est une force dispersive.
La finitude de la vie, c’est sa force dispersive. La vie procède suivant un petit nombre de plans d’organisation irréductibles les uns aux autres et exclusifs les uns des autres. Cuvier en distingue quatre. Il variera beaucoup, mais quatre reste un chiffre sacré. Vertébrés, mollusques, articulés, zoophytes. Les critères des embranchements... Il variera aussi dans toute son œuvre. Vers la fin, il pense que le caractère fondamental qui définit les embranchements, c’est le système nerveux, mais que le système nerveux est susceptible justement de quatre organisations, de quatre plans, de quatre plans d’organisation. Dans le cas des vertébrés, c’est : cerveau et moelle enfermés dans une enveloppe osseuse ; autre plan : des masses nerveuses éparses, parmi les viscères, disséminées parmi les viscères et réunies les unes aux autres par des filets. Masses réunies par des filets. C’est une tout autre organisation que l’organisation vertébrée. Troisième plan : deux cordons ganglionnaires qui s’unissent à deux ganglions principaux au-dessus de l’œsophage. Quatrième : la masse nerveuse est très peu discernable du reste, tendance à l’indistinction. Bon. L’idée de Cuvier c’est : on ne passe pas d’un plan à un autre. Comprenez, et là ça m’importe beaucoup : le vivant va se définir par quoi ? La manière dont il se plie suivant tel ou tel plan, et c’est ça qui est étonnant chez Cuvier, je crois. Un artiste de la pliure. Vous allez voir ce que ça engage dans la biologie naissante. Le vivant se définit par la manière dont il se plie suivant tel ou tel plan d’organisation, c’est ça la finitude de la vie. Il n’y a pas de vie dépliée. En d’autres termes : finie la série ! Les embranchements ne s’ajoutent pas aux séries comme des concepts plus généraux, les embranchements rendent caduque toute mise en série continue.
... vous, embryon de vertébré, ben vous ne vous êtes pas pliés, vous ne vous êtes pas orientés dans votre embryogénèse de la même manière qu’un embryon d’insecte. Et, entre ces différents plans, il y a un fossé irréductible, c’est-à-dire chaque vivant est enfoncé dans la profondeur de son propre plan et replié sur son plan. Vous voyez que la série, là, est complètement cassée, c’est le second moment. Alors va commencer une période de la biologie, tout à fait à la naissance de la biologie, d’une richesse extrême, et très gaie, très gaie, bien que considérée d’un très mauvais œil, c’était une biologie pleine de polémiques, ça n’a pas cessé maintenant, mais c’était des polémiques qui doivent nous toucher encore et dont on aurait tort de croire qu’elles sont dépassées.
Car vous voyez tout de suite où je veux en venir si je vous raconte toutes ces histoires de pli, j’ai plusieurs arrière-pensées : fonder la comparaison de Foucault avec Heidegger, bien sûr, mais aussi, peut-être, que vous soyez moins étonnés si on arrive à la conclusion que, par exemple, quels sont les problèmes fondamentaux aujourd’hui concernant le code génétique et la microbiologie sinon la manière dont les chaînes du code génétique se plient et se déplient ? La figure du dépli et du pli me semble la figure constitutive de la vie, ce qui ne veut pas dire que, dans le cas du code génétique, ce soit au même niveau, ce sera sûrement une autre formation biologique, mais enfin c’est pour dire que, là peut-être, on touche un problème qui vaut que nous... que on traîne un peu sur lui.
Car, quand je dis : Cuvier avait un ennemi dont il était l’ennemi, c’était Geoffroy Saint-Hilaire, très grand biologiste. Et voilà que Geoffroy Saint- Hilaire arrive et dit : il y a unité de composition. Ça c’est un énoncé signé Geoffroy Saint- Hilaire, il y a unité de composition, c’est-à-dire il y a unité de composition pour tous les vivants quels qu’ils soient. Donc Geoffroy Saint-Hilaire oppose l’unité de composition à la pluralité finie des plans d’organisation. Il y a un seul plan de composition, tandis que cuvier affirmait la pluralité déterminées de quatre plans d’organisation. Alors vous me direz, je suppose quelqu’un qui se dise, à ce moment-là, ben oui, ça veut dire que Cuvier est fixiste - ne croit pas à l’évolution - et, là, c’est vrai et ça veut dire que Geoffroy Saint-Hilaire croit à l’évolution.
Non. Ni l’un ni l’autre ne croit à l’évolution. On va voir que l’évolution ça va être encore autre chose. C’est ce point qu’il faut expliquer. Lorsque Geoffroy Saint-Hilaire arrive et dit « il y a unité du plan de composition », on a envie de dire : il revient à la série continue. Et, là encore, non, il ne revient pas à la série continue. Ce qui nous ferait dire, en style Foucault, Geoffroy Saint-Hilaire est pleinement du même âge que Cuvier, il est sur la même formation. Parce que, qu’est-ce qu’il veut dire ? Les textes de Geoffroy ils sont très extraordinaires. Il dit : Cuvier distingue quatre plans d’organisation, mais, à force de plier, on pourra toujours passer d’un plan à un autre. Là, ça devient intéressant et il y a une page très belle et très comique de Geoffroy, enfin « très comique »... j’espère que vous la trouverez drôle, euh, une page de Geoffroy où il dit : moi je vais vous montrer comment on passe du vertébré au céphalopode. Le céphalopode, c’est pas..., c’est pas un animal très... je ne vous dis même pas ce que c’est, le céphalopode, pour que vous gardiez le mystère ; « céphalopode » vous chercherez dans votre petit Larousse, hein, je ne veux vous éviter aucune lecture. Enfin, céphalopode, comprenez, c’est pas grand- chose, quoi. Alors passer du vertébré au céphalopode, on se dit, Cuvier, il exagère. Et voilà sa recette. Sa recette, je ne vous cite que le début du texte. « Il suffit... » il a beaucoup d’humour Geoffroy, « il suffit de ramener la tête vers les pieds et le bassin vers la nuque » « suffit de ramener la tête vers les pieds et le bassin vers la nuque », il fait des pliages, il fait des pliages, c’est très étonnant, ça, les pliages de Cuvier, il va chercher sous quelles conditions on peut plier un vivant pour obtenir les axes et les orientations de l’autre plan.
A ce moment-là, la polémique est partie entre Cuvier et Cuvier est fou-furieux. Pourquoi est-ce qu’il est fou-furieux ? Comprenez que, là, on est dans quelque chose qui devrait être central pour nous, ou qui devrait être central pour Foucault, à savoir que c’est le même argument - l’existence des plissements - qui permet à Cuvier de dire « vous ne passerez pas d’un plan d’organisation à un autre, c’est-à-dire chaque type de vivants se plie sur son plan d’organisation », et qui permet à Geoffroy de dire « vous passerez d’un plan d’organisation à un autre si vous faites autant de plissements qu’il faut ». Au bout de n plissements, vous aurez changé les orientations et vous serez passé du vertébré au céphalopode. C’est la même chose que vous pouvez interpréter dans les deux sens. Ce sont les pliures irréductibles qui m’imposent quatre plans d’organisation, ou bien c’est par pliure que je passerai d’un plan d’organisation à un autre. Evidemment c’est pas les mêmes pliures. Ça ne peut pas être les mêmes, sinon ce ne serait pas sérieux. Et, en effet, Geoffroy, c’est étonnant, il fait des pliures sur éléments anatomiques. C’est un anatomiste. Il fait des pliures sur éléments anatomiques. Et notamment éléments osseux. Il fait des pliures sur squelette.
Von Baer, lui, répond tout de suite : ça ne va pas tout cela ! Est-ce que ça ne va pas ? Je ne sais pas, moi. Pourquoi est-ce que ça ne va pas ? Là vous pouvez inventer ce que Von Baer va répondre, au nom de son embryologie à lui. Il dit : on peut toujours plier dans n’importe quel sens des éléments solides, mais il n’y a pas un tissu qui supporterait ces pliures. Il n’y a pas un seul tissu qui supporterait ces pliures donc la théorie de Geoffroy ne marche que si l’on réduit le vivant à son squelette. Si vous entourez le squelette, si vous y joignez ce qu’on appelle les ceintures - c’est épatant comme langage - si vous y joignez les ceintures, si vous tenez compte des muscles et des tissus, évidemment, là, vous pouvez pas, vous pouvez pas faire une pliure, vous casserez tout, vous déchir... non vous ne casserez pas ! (Inaudible) solide, vous déchirerez, vous déchirerez les ligaments.
Donc, pour parler comme Foucault, Geoffroy et Cuvier appartiennent au même sol archéologique, à la même famille d’énoncés bien qu’ils disent le contraire l’un de l’autre. Vous voyez pourquoi : parce qu’ils ont en commun de rabattre et de ne pas cesser de rabattre le vivant sur... ou de le plier sur des plans d’organisation ou sur un plan de composition. De toute manière, le vivant est replié en profondeur au lieu de s’étaler en surface le long d’une série. C’est ça qui est en commun chez Cuvier et chez Geoffroy. Et pourtant, en plus ce qu’il y a de commun, c’est le refus de tout évolutionnisme. Parce que pour Geoffroy on peut passer d’un mode de pliage à un tout autre mode de pliage, mais ces modes successifs, ces modes différents de pliage marquent des degrés de développement. Ils marquent des degrés de développement. Or chaque type d’animal a un degré de développement qui lui est assigné. Il ne dépassera pas son degré de développement qui, donc, le condamne à tel plan d’organisation. Ce que Cuvier appelait « plan d’organisation », c’est, pour Geoffroy, les degrés de développement d’un seul et même plan de composition. Et à ce degré, là, chacun prend une partie de l’autre, c’est très beau.
Donc l’un comme l’autre refusent toute évolution. Bien plus, de même que, du côté de Cuvier, on avait fondé, avec Von Baer, une science fantastique qui était l’embryologie, du côté de Geoffroy, Geoffroy lui-même fonde une science fantastique qui va pleinement faire partie de la biologie, à savoir : la tératologie ou science des monstres. Car, si chaque plan d’organisation n’est qu’un degré de développement pour un seul et même plan de composition, dans la perspective de Geoffroy, il peut toujours arriver qu’un vivant soit arrêté dans son développement par des circonstances extérieures, par un accident, par une maladie. Et qu’est-ce que c’est qu’un monstre ? Geoffroy va lancer sa grande définition du monstre : c’est ou bien un fixé ou bien un retardé de développement. Un fixé ou un retardé de développement, c’est-à-dire : il n’a pas atteint son développement, empêché par une cause extérieure, il est resté fixé.
Par exemple, il y a une monstruosité très intéressante dont Geoffroy dit : ah ben oui, il en est resté au stade crustacé, il n’a pas dépassé le degré de développement du crustacé. Le crustacé c’est... Geoffroy il est plein d’énoncés, de formules qui sont très très spirituelles. Le crustacé, dit Geoffroy, en gros, c’est avoir la peau sur les os. Il y a une monstruosité où on a la peau sur les os, en effet il a un tégument très léger sur sa carapace. Avoir la peau sur les os. Et la chair est à l’intérieur. C’est ça un crustacé. Alors être resté, arrêté le développement au stade crustacé, j’ai que la peau sur les os... c’est... bon, c’est une maladie, c’est une monstruosité connue. Ou bien..., ou bien, en embryologie vous n’ignorez pas, peut-être, que les mains se développent avant les bras. Supposez qu’un embryon se développe et développe ses mains normales et puis un accident vient au moment... un virus arrive au moment où il est en train de fabriquer ses bras. Il aura des mains parfaitement normales et des bras atrophiés. C’est une monstruosité connue. Euh. Bien. C’est l’illustration même de la définition de Geoffroy, le monstre c’est un retardé de développement ou un fixé de développement. Dans le cas l’embryon a eu son développement fixé au stade « formation des mains ». Il n’a plus pu former un bras, un bras normal. Une fois dit que la formation du bras était postérieure à celle de la main.
Bien. Alors je vous signale, là j’ouvre une parenthèse inutile, mais c’est pour faire de l’épistémologie, que lorsqu’une discipline célèbre inventera ou dira qu’elle invente les notions de fixation et de régression, expliquera les névroses par des phénomènes de fixation et de régression, il faut rendre à chacun ce qui lui appartient, c’est-à-dire c’est, ce qui est déjà pleinement original, c’est l’application au domaine des névroses de concepts typiquement tératologiques qui datent de Geoffroy Saint-Hilaire, à savoir la régression, c’est-à-dire l’arrêt de développement, la fixation de développement sont, selon Geoffroy Saint-Hilaire, les deux, les deux principales formations de monstres. Or il est bien connu que les névrosés sont des monstres.
Alors, vous voyez, c’est autour de ce thème de la pliure que je peux dire : bien sûr ils comprennent les pliures, les plis, les replis de la finitude, c’est ça la finitude, c’est le pli, c’est ce qui se plie, c’est ce qui se replie, c’est ce qui me replie. Tandis que l’élévation à l’infini, c’est ce qui déplie, c’est ce qui déploie, c’est pas plus difficile que ça. La pensée du XVIIème siècle est une pensée du déploiement, pourquoi ? Parce qu’elle réagit contre la Renaissance et contre le Moyen Age. Alors est-ce qu’il faut dire que c’était une pensée du pli, la Renaissance et le Moyen Age... ? C’était encore autre chose. Mais le XVIIème siècle s’affirme et affirme le dépli, comme la loi de la pensée claire et distincte, comme la loi de l’ordre. Si vous voulez saisir l’ordre, dépliez les choses. C’est ça la méthode... il faudrait même, on pourrait aller dans tous les sens... Prenez la méthode cartésienne, prenez une méthode chère au XVIIème siècle, vous y verrez à chaque fois la formation des séries, la formation des chaînes, la recherche des contiguïtés, tout ça, une pensée du développement, du dépli. Avec le XIXème vient la pensée obscure du pli. Il faut plier les choses. A ce moment-là vous avez la découverte de la finitude. Plier le vivant sur le plan de composition ou plier sur le plan, sur un plan d’organisation, tout ça c’est pareil. Mais dernier point : Darwin. Darwin qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ?
Ben, vous savez, Darwin, justement, c’est pas la série. Lorsque Darwin va affirmer et va injecter l’histoire, c’est-à-dire l’évolution, dans la biologie, qu’est-ce qu’il fait au juste ? Qu’est-ce qu’il fait au juste ? Il apporte quelque chose de nouveau, c’est la trinité, à la fois contre Cuvier et contre Geoffroy. Mais en quoi Darwin, Cuvier et Geoffroy sont-ils une trinité, à l’horizon de notre biologie ? En quoi est-ce que... alors que Lamarck... vous voyez la très grande différence, alors que Lamarck introduisait l’histoire dans la série pour finalement sauver l’idée d’une série animale, c’est-à-dire il en était au premier moment de la biologie. L’autre pas du tout. Darwin, c’est pas ça son problème. C’est pas ça son problème. Je veux dire : Darwin il accepte parfaitement les termes mêmes de Cuvier. Et qu’est-ce que c’était les termes de Cuvier ? La série procède par petites différences, mais il y a de grandes différences entre plans d’organisation. En d’autres termes, il y a des différences insurmontables qui rompent toute série possible. Vous comprenez ? Fatigués ? Mais je m’arrête pas, là, parce que si je m’arrête, ça va être comme l’autre fois, donc quand vous en avez assez, vous n’écoutez plus, hein, ou bien... Quelle heure est-il ?
Lucien Gouty : 11h, il va être 11h 10
G.D. : alors je vais quand même m’arrêter un peu, mais... ah ! Non, non ! Je finis d’abord Darwin, parce que, sinon, on n’en sortira pas. Vous comprenez Darwin... mais, et pourtant, et pourtant, pour ceux qui ont lu un peu Darwin, ce que je dis va avoir l’air grotesque. Ce que je dis, c’est que, Darwin, ça lui est égal les petites différences, il n’a jamais pensé rétablir la série. La série qui procède par petites différences. Ça a l’air stupide, ce que je dis, puisqu’il est très connu que Darwin, au contraire, invoque perpétuellement les petites différences d’un enfant par rapport à ses parents. Oui, il en a besoin. Mais pourquoi ? Est-ce que c’est pour mettre en série qu’il invoque les petites différences ? Pas du tout. C’est pour pouvoir répondre à la question : pourquoi les grandes différences apparemment insurmontables l’emportent-elles dans la vie ? Pourquoi la vie, qui ne cesse de produire de petites différences, procède pourtant à coup de grandes différences ? Or, ça, comprenez, c’est un problème qu’on ne pouvait pas poser avant Cuvier ou avant Von Baer.
Et qu’est-ce que c’est la réponse de Darwin, alors, qui est une nouveauté ? C’est que, vous allez voir, elle engage tellement de choses, je vous raconte, on va voir. Elle est à deux étages, il me semble, la réponse de Darwin. Elle consiste à dire : si vous prenez, non pas un milieu, non pas un milieu général, par exemple l’eau, et si vous prenez un territoire déterminé, une région déterminée dans un milieu, à quelle condition un maximum de vivants peut-il survivre ? Ça c’est la question nouvelle de Darwin. C’est ça la question darwinienne : un territoire étant donné, à quelle condition un maximum de vivants peut-il survivre ? Là c’est une question qui n’a aucun équivalent ni chez Geoffroy, ni chez Cuvier. Mais, la réponse, elle va rejoindre Cuvier et Geoffroy. Ça consiste à dire : ils auront d’autant plus de chances de survivre qu’ils divergeront davantage, que leurs caractères divergeront davantage. Supposez, supposez une région déterminée et puis deux espèces très voisines qui vivent sur cette région, « très voisines » ça veut dire que leur alimentation est identique ou semblable. Il y en a qu’un qui l’emportera sur l’autre et qui liquidera l’autre. Vous voyez tout le thème de la sélection naturelle qui se profile là. Ils ne pourront pas coexister. Supposez au contraire, que les deux espèces qui vivent sur ce territoire soient très différentes, là, ils ont des chances de coexister, de survivre. Ils ne s’adressent pas à la même nourriture.
Bien, c’est à force de divergences qu’un maximum de vivants peut vivre sur un territoire déterminé. En d’autres termes, la vie va se définir comme tendance à produire de grandes différences par accumulation des petites différences. C’est la condition de survie : tendance à produire de grandes différences. C’est-à-dire la vie n’est plus considérée comme une force de dispersion, mais comme une force de divergence. Dès lors Darwin nous dira qu’il n’est pas étonnant que la vie soit traversée par ces espèces de failles entre plans d’organisation. Reste que - second aspect de la thèse darwinienne - comment est-ce qu’il peut y avoir histoire, transformation ? Et ben précisément, création des grandes divergences. Mais comment est-ce qu’elles peuvent être créées, ces divergences ? Puisque tout vivant semble déjà supposer des plans distincts, des plans d’organisation distincts. La réponse de Darwin ce sera : voilà, vous ne pouvez pas conclure de l’évolution de l’embryon à l’évolution des espèces. Vous ne pouvez pas appliquer les lois de l’embryologie, pourquoi ? Pour une raison très simple, parce que, dans l’embryologie les formes sont déjà données. Vous êtes toujours l’embryon d’une forme, là les formes, elles sont déjà fixées. Par exemple un embryon de loup c’est un embryon de loup, il donnera du loup. Même avec des petites différences, hein, c’est triste, mais... Tandis qu’au niveau de l’évolution des espèces, les formes ne sont pas fixées. Vous avez que des forces en rapport. Les formes ne sont pas fixées, elles sont elles-mêmes fluentes. Il n’y a pas une espèce qui serait le loup et puis une espèce etc. Vous voyez, il retourne tout. Si les espèces sont le produit d’une évolution opérant par divergence accentuée, vous ne pouvez pas vous donner des espèces déjà, c’est-à-dire des formes avant.
D’où la vraie révolution de Darwin, c’est quoi ? C’est pas du tout l’évolutionnisme, c’est d’avoir pensé la vie en termes de population et pas de forme. Population sur un territoire donné. Une population quelconque sur un territoire donné. Vous ne pouvez pas vous donner déjà des formes. Et l’évolution, c’est quoi ? C’est précisément que cette population ne va pouvoir survivre que dans la mesure où elle se scinde et produit des formes divergentes qui permettent à ses membres de survivre sur le territoire. En d’autres termes l’évolutionnisme de Darwin n’a rien à voir avec l’évolutionnisme de Lamarck. Car l’évolutionnisme de Lamarck est typiquement un évolutionnisme sériel, un évolutionnisme qui injecte de l’histoire dans la série, tandis que l’évolutionnisme de Darwin est typiquement un évolutionnisme qui entérine l’écroulement des séries au profit du repli du vivant sur une force de vie qui va être force de divergence et d’accuser la divergence. Or tout ceci, à quelque niveau que ce soit, que ce soit Cuvier, que ce soit Darwin, que ce soit Geoffroy, ça se fait à quel prix ? Ce repli du vivant sur la finitude de la vie se fait toujours au profit de mettre la mort dans la vie. A l’ombre de la mort, la profondeur se crée de cette manière.
Théorie des catastrophes chez Cuvier, théorie de la sélection chez Darwin, théorie des monstruosités et des arrêts de développement chez Geoffroy. La finitude de la vie va mettre la vie dans un rapport fondamental avec la mort que le XVIIème siècle ignorait. En d’autres termes, à la mort... Le XVIIème siècle, je crois, ne pouvait penser la mort que d’une manière sage. Qu’est-ce que signifie la sagesse ? C’est la veille sagesse, ça, qui nous dit : de quoi tu te plains ? Tant que t’es pas mort, t’as pas à te plaindre et puis, une fois que t’es mort, tu ne peux plus te plaindre, donc la mort, c’est un instant. Mais, ce que je résume là comme sagesse ou comme moralisme - c’est le moralisme d’Epicure : impossible de penser la mort qui est un événement instantané - ça valait aussi pour toute la médecine de l’époque, ça avait sa version épistémologique, ça avait sa version scientifique : la mort instant décisif et insécable. Et, encore une fois, je crois vous l’avoir dit à propos d’autre chose : lorsque l’on trouve dans Malraux, et repris par Sartre la formule célèbre « la mort c’est ce qui transforme la vie en destin », loin que ce soit une formule moderne, ça n’ôte rien à sa beauté, mais c’est pleinement l’expression de la pensée classique, c’est la mort comme instant, instant qui, précisément, opère cette espèce de transvaluation de la vie, elle transforme la vie en destin.
Mais la pensée du XIXème, et peut-être la nôtre encore, a une tout autre conception de la mort. De même que le vivant se replie sur la finitude, la vie d’une certaine manière se replie sur la mort. Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Le grand livre sur la mort, à mon avis, ça reste encore un livre que Foucault aimait et admirait immensément, c’est le livre de Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort. Et Bichat a proposé de la vie une définition célèbre qui fait rire et qui n’a jamais fait rire que les imbéciles. C’est : la vie c’est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. Alors je dis : les imbéciles ils disent - et ils étaient nombreux, maintenant il n’y en a plus, imbéciles nombreux du temps de Bichat - ils disent : "grossier cercle vicieux". Définir, en effet, la vie comme l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort, ça supposerait disent-ils que l’on puisse définir la mort indépendamment de la vie. Bon l’objection est idiote, car l’objection ne vaudrait que si Bichat maintenait la conception classique de la mort. La mort suppose la vie, oui, donc on ne peut pas faire la définition de Bichat "si" la mort est conçue comme instant décisif qui termine la vie.
Mais Bichat, lui, dans son livre, nous propose, je crois, la première grande conception moderne de la mort. Il la propose sur deux points.
Premier point : la mort n’est pas un instant décisif qui marque la fin de la vie, la mort est coextensive à la vie.
Deuxième point qui rend compte du premier, qui explicite le premier : le vivant est inséparable des morts partielles qui le traversent. Et ce qu’on appelle la mort, loin d’être un instant décisif est toujours l’effet global de plusieurs morts partielles. Il y a trois morts partielles : la mort du cerveau, la mort du poumon, la mort du cœur. Et la vie même ne cesse, le vivant, du moins l’animal, vit rarement, non seulement il y a le sommeil, mais il y a les sommeils partiels. Le vivant ne cesse de traverser des sommeils partiels qui sont de véritables morts. Le sommeil partiel chez Bichat vient faire écho à la mort partielle. A la fois la mort est coextensive à la vie et il y a pluralité de morts.
Donc en aucun de ces deux sens la mort ne peut être considérée comme instant décisif et insécable. Or c’est comme l’achèvement , en effet, chez Cuvier, je vous dis... Biologiquement le vivant ne peut être rabattu sur la force de vie, sur la force finie de la vie que dans la mesure où la mort s’inscrit au plus profond du vivant même. Et, ça, c’est quelque chose qui (inaudible) très très fort Foucault, qui avait toujours avec la mort une espèce de rapport euh... Et je crois que vous trouverez, dans Naissance de la clinique, une... 5 ou 6 pages sur Bichat et sur la théorie de la mort chez Bichat. Si vous les lisez, vous verrez vous-mêmes. Moi j’ai le sentiment que, bien sûr, c’est une analyse épistémologique de la pensée de Bichat extrêmement intéressante, mais qu’il y a quelque chose de plus, qu’il y a quelque chose de plus qui... où Foucault exprime son propre rapport, son propre rapport avec la mort et une espèce d’adhésion à ce que... à la manière dont Bichat présentait les choses.
Donc vous voyez, là, je résume, j’ai fait, là qu’un des trois, ça ne va pas très vite, mais ça me paraissait nécessaire. Au niveau de la formation de la biologie, on a bien vu nos deux temps. Si j’essaie de résumer les deux temps, je dirai : premier temps... Les deux temps se groupent sous la formule « quand, quand les forces dans l’homme rencontrent les forces de la finitude ». Eh bien, premier temps : on rencontre la force organisatrice de la vie, on rencontre une force organisatrice de la vie qui est marquée de finitude et qui compromet les séries du XVIIème siècle. Deuxième temps : la force organisatrice se replie en profondeur, en même temps que les vivants se replient sur leur plan d’organisation etc. C’est les deux étapes. Or ce que Foucault va montrer dans Les mots et les choses, à part cela pour la biologie, c’est : la même chose se produit au niveau de l’économie politique et de sa naissance au XIXème et au niveau de la philologie et de sa naissance au XIXème.
L’hypothèse, l’hypothèse que... l’hypothèse de détail, pas très intéressante que je vous proposerai, c’est celle-ci... Encore une fois, quand on arrivera à une confrontation de Foucault avec Heidegger, et que j’essaierai d’expliquer un peu ce que Heidegger appelle le pli, et qu’on constatera que c’est un thème très profond chez Foucault, celui du pli et du dépli, je crois que l’on sera amené à conclure assez vite que l’origine de cette notion chez Foucault ne vient pas de Heidegger - ce qui me paraît aller de soi, vu l’utilisation très différente qu’il en fait - qu’il y a donc eu, à cet égard, rencontre de Foucault avec Heidegger, mais que chez Foucault la notion de pli et de dépli a une tout autre origine. Et je crois que, l’origine principale, c’est cette histoire que nous sommes en train de voir : le dépli et le pli comme deux fonctions de la pensée, l’une qui consiste à développer à l’infini suivant le mode de pensée classique, l’autre qui consiste à rabattre sur la finitude conformément à une pensée qui s’élabore avec le XIXème siècle. Donc, ça, c’est un premier point qui me paraît important. Là-dessus il nous resterait à voir, mais euh, vous en avez peut-être assez, l’équivalent de ce qu’on vient de voir pour la biologie, dans la formation XIXème siècle, à propos de l’économie politique et de la philologie ou de la linguistique.
Alors là je vais très très vite, pour vous donner juste des points de repères. Qu’est-ce qui se passe en économie politique. Ben au XVIIème siècle, encore une fois, ben il n’y a pas d’économique politique, il y a une analyse des richesses et il y a un tableau des richesses développable à l’infini en même temps que les besoins. Bien sûr, c’est un infini qui n’est qu’un indéfini, mais, encore une fois, on a vu que l’indéfini était un ordre d’infini pour le... c’était sans doute l’ordre le plus bas d’infini, mais c’était un infini, tellement le XVIIème siècle est incapable de penser en dehors des ordres d’infini. « Incapable » c’est un compliment, c’est pas une critique. Or, dans une analyse des richesses, bien sûr, le travail a de l’importance et la notion de travail existe déjà et sert déjà. Mais le travail, tel qu’il est employé au XVIIème siècle, lie indissolublement deux choses. Il lie ce qu’on pourrait appeler le travail production et le travail marchandise.
Et les deux sont liés, les deux ne sont pas séparés, d’où une grande équivoque dans la notion de travail au XVIIème siècle. Le travail est une marchandise, en effet il est payé. Le paiement du travail s’appelant salaire. Dans la mesure où le travail reçoit un salaire, il est une marchandise. Mais, en tant que production, il est autre chose, il est unité de mesure, il est unité de mesure du produit. Bien. Ce qui revient à dire, dans cet état de la notion de travail, que le travail est essentiellement qualifié. Ce sera un travail euh... manufacturier ou bien un travail commercial, ou bien un travail agricole. Le travail est ceci, ceci, ceci. Et, finalement, la fonction du travail c’est d’être une unité de mesure relative, une unité de mesure relative qui ramène quoi ? Qui ramène l’échange au besoin. Je vais vite, hein, c’est juste des jalons, que... Bien. Qu’est-ce que c’est la fracture ? Dès lors il y a un tableau des richesses, une série des richesses où le travail, tel qu’il est conçu, va assurer la circulation des richesses dans le tableau.
La grande fracture c’est Adam Smith. C’est le premier moment de la formation XIXème, là encore on va retrouver deux moments. Et qu’est-ce qu’il fait Adam Smith ? Peut-être qu’il fait quelque chose de très très important, c’est-à-dire il dissocie les deux aspects du travail, l’aspect salarié et l’aspect unité de mesure. Si bien que des textes peut-être les plus importants d’Adam Smith consistent à nous dire : que le travail soit bien payé ou mal payé, l’unité de travail reste identique. Ce qui implique quoi ? Ce qui implique ce que Marx appelle « le coup de génie d’Adam Smith », c’est-à-dire avoir dégagé le travail comme essence subjective de la richesse, ou d’avoir dégagé le travail abstrait comme n’étant plus qualifié comme tel ou tel.
Dans des textes célèbres, Marx nous dit : l’économie politique commence avec Adam Smith, pourquoi ? Parce que Adam Smith dégage le travail abstrait et, donc, dégage la force de travail tout court, la force de travail tout court. Et, par là même, ajoute Engels, dans un texte très intéressant, Adam Smith est le Luther de l’économie politique. Pourquoi ? Parce que la force de travail tout court ou le... l’essence subjective de la richesse, c’est à peu près la même opération que celle que Luther a faite au niveau de la religion. Au niveau de la religion, Luther a substitué, enfin pour aller vite, Luther a substitué à la religion extérieure, la religiosité intérieure qui, d’une certaine manière, est la religiosité quelconque, l’essence subjective de la religion. De même la rupture de Adam Smith avec le XVIIème siècle, selon Marx, c’est : de la richesse objective, il a dégagé l’essence subjective de la richesse sous la forme du travail abstrait, du travail tout court, de la force de travail tout court. En d’autres termes, avec Adam Smith, grâce à la dissociation des deux aspects du travail, travail salarié et travail production, travail salaire, travail production, travail marchandise, travail producteur, le travail devient unité de mesure....
Là encore c’est une espèce d’opération de pliage. Il y a des pages de Marx où il explique très bien, il appelle ça une féérie, la féérie d’après laquelle le capital s’approprie le travail. La fantasmagorie. Ces espèces de repliement du travail sur le capital et, à ce moment-là, qu’est-ce que c’est la différence, la différence fondamentale Ricardo - Marx ? Là encore, tout comme Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier et tout comme Darwin et Cuvier appartiennent au même sol archéologique, Marx et Ricardo appartiennent au même sol archéologique. Car Marx fera l’opération inverse. Il va, lui, faire le pliage inverse, plier le capital sur le travail. Et comment ? En réinterprétant la distinction travail salarié - travail producteur, travail marchandise - travail production. Marx va dire : la distinction est tout autre, Ricardo voyait bien une distinction, mais la vraie distinction est tout autre que celle que Ricardo croyait. C’est-à-dire la distinction entre les deux aspects du travail consiste en ceci : c’est que le travailleur ne reçoit un salaire que pour une partie de son travail abstrait. En effet, il reçoit un salaire égal à la subsistance nécessaire de lui-même et de sa famille. Mais il travaille toujours par définition plus que pour ce quoi il est payé. Vous voyez ? En d’autres termes, ce que Marx fait, c’est non plus une différence travail marchandise - travail producteur, mais une différence, et c’est ça la nouveauté de Marx, travail salarié sur travail non-payé, travail marchandise sur travail non-payé qui va, en effet, appartenir au capital. A la lettre, il fait le pliage inverse.
Peu importe, hein... tant pis si c’est... J’ai honte, en même temps, parce que c’est tellement sommaire... mais je crois que c’est pas faux. Sur les deux pliages, en tout cas, c’est... Et, alors, vous comprenez que.. Je ne sais plus ce que je voulais dire... Vous comprenez... oui... Oui.
Vous comprenez comment, là aussi, l’économie politique apparaît lorsque les forces dans l’homme se replient sur la force de travail avec les deux opérations complémentaires ou bien « le travail plié sur le capital » ou bien « le capital plié sur le travail même ». A savoir : la part du capital qui se plie sur le capital même, c’est ce que Marx analysera comme étant la plus-value, et lorsqu’on lui objectera : mais comment vous pouvez distinguer dans le temps la part de travail salarié, la part de travail payé et la part de travail extorqué ? On lui dira : mais c’est jamais assignable, mais qu’est-ce que ça veut dire cette histoire de la plus-value ? Il a beau jeu, quoi, il a beau jeu d’expliquer : mais le surtravail est une condition même du travail salarié, donc, évidemment, on ne pourra jamais faire la part, on ne pourra jamais dire : ceci c’est du travail payé, et cela c’est du travail exploité, extorqué. Donc, il y a là toutes sortes... deux modes de pliage. Bon. Euh... Mais tout ça c’est pour vous entraîner à lire les pages sur Smith et Ricardo dans Les mots et les choses.
Pour la philologie, finalement, je dirai : qu’est-ce qui se passe ? La pensée du XVIIème était vraiment une pensée, comment dire, de la science générale ou universelle, du savoir général ou universel. Analyse générale des richesses, grammaire générale, série générale des êtres vivants, le général indiquant ici un ordre d’infinité. Avec le XIXème siècle, le général est remplacé par le comparé. Les plans d’organisation comparés, soit qu’on les pose irréductibles, soit qu’on les pose comme réductibles. L’anatomie devient comparée. L’économie devient comparée. Les modes de production, la philologie devient comparée. Et, là aussi, ça se fait comment, alors, dans notre dernier point, la philologie ?
Premier temps... Si on reprend nos deux temps. Qu’est-ce qui va briser la grammaire générale et son tableau ? Le tableau de la grammaire générale est fondé au XVIIème siècle sur la détermination des racines. Le XVIIème n’ignore pas les flexions. Mais les flexions sont subordonnées aux racines. C’est les racines qui constituent le tableau développable, le tableau dépliable des langues et qui va permettre de dégager la grammaire générale. Le renversement, le renversement de la fin du XVIIIème, c’est le primat des flexions sur les racines. La future linguistique, là, trouve son premier acte d’origine : l’étude des flexions. Or ça a des conséquences immenses et c’est l’étude des flexions qui va, là aussi, fracturer la grammaire générale, au profit de quoi ? Au profit, précisément, d’une philologie comparée.
Car, deuxième temps, avec Bopp ou avec Schlegel, qu’est-ce qui apparaît ? C’est, là aussi, comme : repliement sur cette profondeur indiquée par les flexions. Qu’est-ce que c’est que ce pli sur la profondeur indiquée par les flexions ? C’est que les flexions sont des éléments formels qui ne peuvent se définir ni par ce qu’elles signifient, ni par ce qu’elles désignent. Alors que toute la grammaire générale était une grammaire des désignations, des significations. La flexion, élément formel grammatical pur, d’où, là aussi des plans de langue, par exemple - et c’est par là que la linguistique est déjà une linguistique comparée - on distinguera deux plans fondamentaux où le langage peut se plier, les langues sans flexion, affixes, et les langues à flexions. Dans les langues affixes, vous avez combinaisons d’atomes linguistiques, combinaisons qui peuvent être très très nombreuses.
Mais c’est comme des combinaisons d’atomes. Dans les langues à flexions, c’est la flexion qui détermine les combinaisons. Mais, comme il n’y a pas d’atome et que chaque élément est déjà flexionnel ou flexionné, peut-être que vous avez encore plus de combinaisons. C’est un problème qu’on va aborder tout à l’heure. En tout cas le premier aspect de cette philologie, c’est dégagement d’éléments formels qui ne sont ni signifiants ni désignatifs, du moins ni significatifs, ni désignatifs.
Deuxième point qui en découle : s’il y a de tels éléments formels qui ne désignent ni ne signifient, ils ne valent que par leurs rapports les uns avec les autres. Par exemple les flexions du verbe : m s t comme indicateurs de première, deuxième, troisième personne, ben ils ne valent pas par ce qu’ils indiquent, ils valent par leur position distinctive. Ils valent l’un par rapport à l’autre, l’un par rapport aux autres. Les éléments formels sont indissociables des relations dans lesquelles ils sont pris, c’est ça le peuplement de cette nouvelle profondeur. En d’autres termes, se fait une dissociation du langage et de la lettre. Le XVIIème siècle liait fondamentalement le langage, la grammaire générale, avec la lettre. Or la lettre est un atome autonome. Là, au contraire, il y a libération du son par rapport à la lettre. On est sur la voie du phonème, le phonème étant un ensemble de positions, d’oppositions distinctives et se définissant ni par ce qu’il représente, ni par ce qu’il signifie, mais par les positions distinctives dans lesquelles il entre, m s t là, comme flexions, sont des positions distinctives. Donc ça implique la libération du son par rapport à la lettre qui sera une des conditions pour la découverte de ce qu’on appellera plus tard le phonème.
Troisième aspect : au XVIIème siècle, dans la grammaire générale, le langage se définit vraiment par ce qu’il désigne et par ce qu’il signifie. Maintenant le langage va être appréhendé d’une tout autre manière. Il va être appréhendé non pas comme désignation, ni comme signification, mais comme action et, plus profondément, comme vouloir. Et toute la philologie romantique va amener l’idée du vouloir d’un peuple qui s’exprime dans la langue. Vous retrouvez là, à la fois, la dispersion des langues suivant des plans de composition des éléments formels, le vouloir fini, bref c’est tout le langage qui se replie sur la force de finitude. Il se replie en profondeur sur la force de finitude. Au dépli de l’âge classique se substitue le pliage des langues suivant les plans d’organisation, de telle manière que tout converge en quoi ? Un vouloir fini qui s’exprime dans des langues différentes suivant tel ou tel peuple. Les vouloirs du peuple comme bases du langage. Chez Schlegel, par exemple, c’est poussé très loin. Bon, alors là, je vous demande pardon d’être si rapide, mais je vous renvoie aux textes.
Si bien qu’on a presque fini ce que j’espérais finir aujourd’hui. Ça revient à dire quoi, au point où nous en sommes ? Eh ben, je conclus ce point sur la formation XIXème siècle très vite, hein, à savoir : la formation XIXème siècle je dirais, en résumant trop facile, euh... c’est exactement la formation dans laquelle les forces dans l’homme rencontrent et étreignent les trois forces de finitude, et se rabattent sur elles en se les appropriant. Alors la combinaison des forces dans l’homme et des forces de finitude donne un composé qui est la forme « homme ». Mais pourquoi durerait-elle cette forme ? Elle n’existait pas comme forme. Bien sûr, encore une fois, les hommes existaient, mais, si vous avez compris depuis le début c’est pas la question. Les hommes existaient... ben oui, mais il n’y avait pas de forme « homme » au XVIIème siècle. Et pourquoi est-ce qu’elle durerait après ? Pas sûr, elle peut durer un certain temps. Pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas d’autres formes ?
Nous pouvons dire : il y aura d’autres formes, s’il y a une autre formation. Il y aura une autre formation, si les forces dans l’homme entrent en rapport avec de nouvelles forces venues du dehors qui ne seraient plus ni celles de l’élévation à l’infini, comme au XVIIème, ni celles de la finitude, comme au XIXème. A ce moment-là, s’il y a bien encore d’autres forces venues du dehors définissant une troisième formation, je dirais le composé qu’elles forment, toutes ces forces, ne sera pas la forme « homme ». Alors commodité pour commodité, on peut toujours appeler ça surhomme, puisque ça a l’autorité de Nietzsche, mais ce que voulait dire Nietzsche c’était ça, c’est-à-dire, comme dirait Foucault, c’était à la fois beaucoup plus et beaucoup moins qu’on ne lui a fait dire, en tout cas c’était pas les bêtises qu’on lui a fait dire, ni les propositions fascistes qu’on lui a prêtées, euh, c’était une chose très très... très simple, très nouvelle sûrement, mais très simple, qui consistait à dire : réellement, la forme « homme » implique et suppose un certain rapport de forces, si le rapport de forces change, il n’y a pas de raison que la forme « homme » subsiste. Et la preuve... Alors Foucault ajoute : bien plus, euh... déjà à l’âge classique il n’y en avait pas encore.
Donc s’il n’y en avait pas encore à l’âge classique pourquoi qu’il y en aurait... pourquoi que, maintenant, on pourrait pas dire qu’il n’y en a plus. Mais, après tout, la forme « homme », il ne faut pas exagérer, elle n’a pas été tellement fameuse, pas fameuse... Je ne dis pas l’homme existant, il ne s’agit pas... La mort de l’homme, ça veut dire : les hommes existants ne se reconnaissent plus dans la forme « homme ». C’est peut-être bon. Mais qu’est-ce que ça pourrait vouloir dire ? Même chez Nietzsche, qu’est- ce que ça peut vouloir dire ? C’est là que j’avais tort d’essayer de trop systématiser Foucault. C’est une série..., il faut prendre ça comme une série de... d’indications, d’évocations, du type : est-ce que ça vous dit quelque chose ou pas ? Voilà.
C’est ça qui nous reste, juste. On aurait deux questions : quelles nouvelles forces interviennent ? Quelles nouvelles forces du dehors ? Et là je dois dire ma perplexité, c’est-à-dire je vois une version textuelle Foucault et une version euh... moins textuelle mais qui me paraîtrait, moi, plus facile. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Car voilà l’indication principale que nous donne Foucault, il nous dit : la philologie au XIXème siècle a dispersé le langage d’après des familles de langues. C’est la philologie comparée. Vous voyez. Mais, en même temps, et il dit : c’est un cas spécial, c’est le cas seulement de la philologie. Il nous dit ça, euh... il faut que je vous donne la référence si vous voulez vous- mêmes vérifier, euh... voilà, il nous dit ça page 306 suivantes des Mots et les choses et il ajoute : dès lors cette dispersions du langage va susciter comme une contrepartie. Si la philologie disperse le langage en familles irréductibles, la littérature prend une nouvelle fonction et ce que nous appelons littérature au sens moderne du mot, c’est une opération qui consiste à rassembler le langage. Rassembler est le mot qu’il emploie. La littérature conçue comme contrepartie de la linguistique. Bien.
Mon trouble c’est : pourquoi dit-il ça du langage et seulement du langage ? Puisqu’à première vue, c’est vrai aussi pour la vie et c’est vrai aussi pour le travail. C’est vrai pour la vie, on l’a vu, la force dispersive des plans d’organisation, non moins que des familles de langues. Et c’est vrai pour l’économie, on l’on a vu, la dispersion des modes de production irréductibles les uns aux autres, les conditions de production. Bien. Il s’explique là-dessus et il dit que, dans les deux autres cas, c’est sous l’influence de circonstances extérieures qu’il y a une telle dispersion tandis que, dans le cas du langage, c’est pour des raisons internes. Ça ne me paraît pas... pardon de dire ça, c’est pas une objection que je fais, c’est, c’est euh... c’est pour ça que je voudrais vous proposer un schéma à la fois plus simple et...
Là, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Si vous le comprenez, vous, tant mieux, à ce moment-là vous me direz. Je vois pas pourquoi il extrait, là, le langage et la littérature, car ça me paraît définir au contraire la formation XXème siècle ou XXIème, qu’est-ce qui se passe ? C’est vrai que la formation XIXème ne reconnaissait les forces de finitude que en dispersant les produits. C’est par là qu’il faisait une science comparée : familles de langues, plans d’organisation, modes de production. Si je demande maintenant : avec quelles nouvelles forces venues du dehors les forces dans l’homme entrent-elles ? Ben je dirais que c’est pas spécial au langage que se produit ou tend à se produire un rassemblement. En employant le mot même de Foucault. Rassemblement de la vie, rassemblement du travail, rassemblement du langage. Et que je ne vois pas pourquoi Foucault tient à extraire surtout que ça complique pour, ensuite, l’histoire, l’ombre du surhomme. La vie se rassemble, le langage..., je suppose comme hypothèse...
Là, pardonnez-moi, je dis vraiment des petits trucs. La vie se rassemble sous quelle forme ? Sous la forme du code génétique. La vie se rassemble dans le code génétique. Le code génétique est le lieu de pliage ou de pliure fondamentale. Et c’est un nouveau mode du pli. C’est une tout autre manière de plier. Le travail se rassemble dans les machines dites de troisième espèce, machines cybernétiques, machines euh... machines d’ordination. Ou, conformément à ce que je vous disais l’autre fois, se rassemble dans le silicium. La vie c’est le carbone, il y a la revanche du silicium. Ça a été posé dès le début, hein. Dès le XIXème siècle, on se demande : pourquoi est-ce que c’est la formule eau-carbone qui a triomphé, c’est ça le problème de la vie. S’il y a un problème de la vie, c’est le succès étonnant de la formule eau-carbone, hydrogène-carbone.
C’est pas évident, pourquoi que ça s’est pas fait autrement ? Pour des raisons très proches des chaînes génétiques. Pour des raisons très proches du code génétique. Il fallait des chaînes carbonées pour avoir la stabilité, les rapports voulus avec la chaleur etc. et pourquoi le carbone encore une fois et puis le rapport carbone hydrogène ? Tout ça était très favorable, mais ça n’exclut pas d’autres formes vitales. Et il y a très longtemps que les microbiologistes demandent, en chimie biologique, pourquoi pas le silicium ? Alors on donne des raisons, mais ces raisons, elles sont convaincantes statistiquement, jusqu’à un certain point. Oui le carbone présentait plus de chance pour que le vivant, euh... pour que le vivant se forme et se déploie. Et le silicium ? Avec une autre combinaison, parce que ce serait difficile, ou alors il faudrait des pressions fantastiques, mais on en a vu d’autres dans la formation du monde, pour qu’il y ait des combinaisons silicium-hydrogène. La chance du silicium, elle peut pas être... Quand on demande : est-ce qu’il y a d’autres formes de vie ? Ça ne veut pas dire : est-ce qu’il y a des martiens ? Ça veut dire : est-ce qu’il y a des formes vitales qui sont fondées sur autre chose que la combinaison hydrogène -carbone.
Alors le silicium, bon. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il y a d’intéressant dans les histoires... euh... des nouvelles machines ? Les nouvelles machines, c’est la revanche du silicium, c’est épatant, ça. Le silicium nous revient. On avait préféré le carbone et puis pan ! (rire) Par un biais, qui est le biais technologique, c’est la grande revanche du silicium. On fait pas des mémoires avec du carbone, hein. On fait des mémoires avec du silicium. Je crois que c’est quelque chose de fondamental. Je dirais : le travail se rassemble dans les machines de troisième espèce ou, si vous préférez, pour parler gros, le travail se rassemble dans le silicium. Le langage se rassemble dans ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature. Ça, gardons l’idée de Foucault, mais en y joignant les deux autres.
Qu’est-ce que c’est que cette force de rassemblement ? Cette force de rassemblement, je crois, c’est ce qu’on pourrait appeler le fini illimité. Faute d’un meilleur mot, hein, il faudrait trouver un autre mot. Mais ça n’est ni du fini, ni de l’infini. Et vous le voyez très bien même au niveau du code génétique, qu’est-ce que c’est que la formule du fini illimité ? C’est que les composants ne sont jamais du même niveau et de même nature que le composé. Si vous comprenez ça - c’est la base du code génétique - si vous comprenez ça, vous voyez comment un nombre fini de composants peut donner un nombre pratiquement illimité de composés. Parce que, en effet, si les composants sont d’une autre nature et à un autre niveau que le composé, vous pourrez analyser le composé à son niveau d’une infinité de façons, bien que ses composants à un autre niveau soient en nombre fini. C’est ce qu’on appellera une combinatoire. Le propre d’une combinatoire c’est opérer avec des éléments finis d’un niveau A pour produire des composés illimités de niveau B. C’est le propre du code génétique, c’est le propre du langage, c’est le propre de...Bien.
Qu’est-ce que ça donnerait, ça ? Qu’est-ce que ça veut dire le rassemblement du code... la vie se rassemble dans le code génétique ? Ben c’est que, là, il n’y a pas de problème, il y a bien unité de composition du code génétique. Il va se distinguer par ses pliures, par ses pliages, etc. Et qu’est-ce qui n’est pas exclu perpétuellement dans les recherches génétiques aujourd’hui ? C’est pas du tout qu’un homme devienne un lapin, mais c’est qu’un code génétique, par exemple de quelqu’un, d’un corps, capture un fragment de code d’un autre vivant.
Dans l’exemple toujours admirable de la guêpe et de l’orchidée, voilà que la guêpe..., non voilà que l’orchidée a capté, capturé un fragment de code génétique de la guêpe. Il y a comme des inter-captures de fragments de code. C’est ça qu’on peut dire un rassemblement de la vie dans le code génétique. Et ça fait partie... et c’est ça qui est en train de changer : toute la conception de l’évolution aujourd’hui. C’est ces... inter-captures de fragments de code. Je dis, alors : supposez les forces dans l’homme entrent en rapport avec ce nouveau type de forces que j’appelle par commodité « fini illimité », rassemblement de la vie dans le code génétique. Rassemblement du travail dans le silicium, rassemblement du langage dans la littérature... Et je dis : quel est le composé ? Ben ça n’est plus ni Dieu ni l’homme. Après tout, bien plus, la forme « homme » ne se dessinait que dans la mesure où il y avait la mort en elle, on l’a vu aussi : elle ne se dessinait que par épousailles de forces de finitude.
Bien, alors on peut toujours appeler ça conventionnellement le surhomme, mais c’est un mot tellement pourri, que - maintenant c’est pas la faute de Nietzsche - qu’il vaudrait mieux trouver un autre... Mais comment on définirait le surhomme ? Moi je crois que le surhomme, il faudrait dire trois choses. C’est celui qui s’unit au silicium, c’est-à-dire c’est celui qui s’est chargé des roches elles-mêmes. On peut en parler comme ça, parce que euh... sinon. Celui... et c’est comme ça, je suppose... c’est, c’est... Foucault, il... ouais. Il s’est chargé des roches. Pourquoi des roches ? Parce que vous savez le silicium domine dans le monde inorganique comme le carbone domine dans le mode vivant. Donc je dis : il s’est chargé des roches, des roches elles-mêmes. Tout ça c’est pour amener l’autre aspect : il s’est chargé des animaux mêmes. Qui a dit ça ? Qui a appelé à une espèce d’homme au-delà de l’homme qui se chargerait des animaux mêmes ? C’est Rimbaud. C’est Rimbaud. Se charger des animaux mêmes. Mais à la lettre, il me semble, là je ne fais pas de la science, parce que c’est au contraire la science que... que... je ramène à un peu de poésie, c’est la capture d’un fragment de code. Se charger des animaux, encore une fois, ça veut pas dire devenir lapin, ça veut dire capturer un fragment de code exactement comme la guêpe... non comme l’orchidée capture un fragment de code de la guêpe.
Alors vous vous rendez compte, à ce moment-là, les voies de l’évolution elles sont complètement changées, ça ne se fait pas par filiation. L’évolution, elle se ferait pas par filiation, comme disent les biologistes aujourd’hui... euh... les généticiens aujourd’hui, elles se feraient par capture de code. Donc mes trois aspects sont très très cohérents : chargé des rochers eux-mêmes, chargé des animaux eux-mêmes, chargé de la littérature, qu’est-ce que c’est que ça ? Le surhomme, il serait chargé de ces trois choses, ce serait ça le surhomme, à condition de dire : qu’est-ce que c’est que la littérature aujourd’hui ? Foucault nous en donne une définition, donc, là, je m’arrête là. La prochaine fois j’essaierai d’ajouter quelque chose. Essayer de regarder la manière dont il définit la littérature... vous le verrez dans Les mots et les choses p.59, 394, 397. C’est, pour lui..., la littérature c’est précisément l’opération par laquelle on se charge de l’être du langage, c’est-à-dire c’est le rassemblement du langage. Ben c’est ce triple rassemblement qui permettrait de donner une vague ombre à cette notion floue de surhomme.